mardi 22 mai 2018

Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes






J’ai lu l’édition augmentée de cette œuvre de Daniel Keyes. Elle contient la nouvelle originale (1959), le roman qui en a été tiré (1966), ainsi que l’autobiographie «  Algernon, Charlie et moi, trajectoire d’un écrivain »(2000).



J’ai commencé ma lecture par le roman, qui fait à peu près 300 pages.

Je me suis souvent fait la réflexion que les 4ième de couverture en disaient beaucoup trop. Cela casse le charme de la découverte…

Dans le cas de ce roman, on sait à quoi s’attendre dans les grandes lignes, à savoir qu’une équipe de scientifiques expérimentent une toute nouvelle technique sur un simple d’esprit, pour augmenter artificiellement son intelligence. Charlie Gordon sera le premier être humain à être « utilisé », après Algernon, la petite souris blanche.

Heureusement, ce sont les petites lignes qui ont le plus d’importance. La dimension psychologique et émotionnelle de Charlie, tout au long du processus de croissance de son intelligence et sa prise de conscience sur son état au fur et à mesure que la lumière se fait dans son esprit.

Charlie doit écrire régulièrement des comptes rendus sur ce qu’il pense et ressent, avant et après l’opération, afin que les scientifiques mesurent sa progression, en terme de vocabulaire et complexité de langage.

Le récit ainsi présenté, et l’emploi du «  je », fait d’emblée entrer le lecteur en empathie avec Charlie. On ne reste pas simple spectateur de tout ce qui lui arrive, non, puisqu’on devient Charlie, on s’installe au cœur de sa pensée, ses émotions, ses interrogations, ses doutes, ses craintes, ses souvenirs.

Dans tous les domaines de la vie, et dans celui de l’intelligence en particulier, tout est relatif. Mais je pense que l’auteur a voulu mettre en scène des extrêmes, afin de bien montrer le fossé qui peut être creusé entre des personnes de QI différents… Un Charlie attardé mental, avec un QI de 70, face à des scientifiques et il a l’impression que ce sont des génies !

Même ses collègues de travail, pourtant pas très instruits, lui paraissent très intelligents…

Après l’opération qu’il subit au cerveau, et tous les traitements qui s’en suivent, il change, devient de plus en plus intelligent… Notre sympathique Charlie accède petit à petit à ce qu’il a toujours ardemment souhaité depuis sa plus tendre enfance, sa plus grande motivation : être comme tout le monde, être aussi intelligent qu’eux.

Sauf que son ascension va aller plus loin, car il va tripler son QI en quelques mois à peine, et va finalement se trouver une nouvelle fois en décalage face au reste du monde. Un génie incapable de communiquer même avec des scientifiques, qu’il voit désormais comme des imposteurs, se trouve même déçu de leur manque de connaissances, leurs limites intellectuelles…

D’où la théorie de la relativité universelle : «  chacun d’entre nous est le génie de quelqu’un, et peut, parallèlement, être le con d’un autre ».

La petite souris blanche, avec ses petits yeux noirs cerclés de rose, a son nom dans le titre du livre, et même si elle n’est pas l’élément central du récit, elle a une grande importance dans l’incroyable expérience que va connaitre Charlie. D’abord parce qu’elle a subi la même opération que lui, avant lui. Et puis parce qu’elle sera son éclaireur sur le chemin de la progression de l’intelligence, puis de la régression…Il anticipera donc son avenir proche, avec tout ce que cela implique en préparation mentale et conflits émotionnels.

En parlant de conflits émotionnels, Charlie va aussi connaitre une courbe de croissance dans ce domaine, mais en décalage par rapport à l’intelligence… Un génie avec le niveau émotionnel d’un petit garçon. Totalement immature donc, bloqué et plein d’appréhension lorsqu’il s’agit d’approcher la femme dont il est amoureux.

En choisissant un sujet comme Charlie, l’auteur met également en lumière le comportement des gens dits «  normaux » intellectuellement vis-à-vis des simples d’esprits. Les jugements négatifs, les moqueries et la dévalorisation. Ironie du sort, notre héros lui-même tombera dans ce piège en oubliant ce qu’il fut dans un passé pas si lointain…

Une belle leçon de tolérance et d’acceptation. Le niveau du QI n’exclut pas certaines personnes de la catégorie des êtres humains !

Mes sentiments au cours de cette lecture ont varié en fonction de l'état de Charlie.

De l'espoir et de l'enthousiasme avant l'opération. Puis de la curiosité et de l'émerveillement pendant le processus de l'éveil à l'intelligence. Comment Charlie réagit en sortant petit à petit de la brume de son esprit, découvre le plaisir d'apprendre et de se rappeler, fouille dans ses souvenirs pour faire ressurgir des scènes de son passé afin de mieux comprendre son état émotionnel.

A l'apogée de son intelligence de génie apparaît l'inévitable frustration, l'agacement de constater la bêtise du reste du monde! Hé oui, il n'est pas bon d'être dans les extrêmes..

Le pire a été la prise de conscience que tout cela allait prendre fin très rapidement. La chute inexorable qui l'attendait au bout du chemin. Un sentiment d'impuissance, de course contre le temps.

Comment accepter un retour dans le noir après avoir connu la lumière?


Je me suis ensuite penchée sur la nouvelle :

Il y a quelques petites choses qui sont différentes dans cette courte version de moins de 50 pages. Et bien sûr toute une partie de l’histoire qui n’est pas traitée.

Je dois dire que j’ai trouvé peu d’attrait à cette lecture. Je n’aime pas vraiment les nouvelles habituellement. C’est trop court, je préfère lorsque les idées sont traitées plus en profondeur.
Et puis de toute façon, je savais déjà tout ce qu’il y avait à savoir, grâce au roman.

La 3ième étape a été de regarder le film tiré de ladite nouvelle. Il s’agit de la version dont l’acteur principal (et unique) est Grégory Gadebois.

 Voici la vidéo du film complet :







J’ai été très touchée par le jeu de l’acteur, et la façon dont l’histoire a été tournée.

Pendant presque 1h30, il est seul face à la caméra, il parle comme s’il écrivait ses comptes rendus.

On le voit dans différentes situations, avant et après l’opération. Il se transforme, mais reste seul. On dirait que ça lui colle à la peau. Solitude et incompréhension. Toute l’histoire de sa vie…

4ième et dernier volet de mon aventure avec Daniel Keyes, son autobiographie !

Elle fait 200 pages, et constitue à elle seule un petit roman, très instructif.

Je me suis toujours demandée comment les auteurs construisent les scénarios de leurs romans..

Hé bien maintenant je sais ! En tout cas pour cet auteur-là. Bien entendu, chacun a sa recette, selon sa personnalité et son mode de fonctionnement.

Dans son autobiographie, Daniel Keyes aborde ses jeunes années, quand il était étudiant, puis quand il a rejoint la marine. Il parle de son rêve de devenir écrivain, ses espoirs et ses déceptions. Tous les petits boulots qu’il a dû faire pour subvenir aux besoins de sa famille, sans perdre de vue son projet d’écrire Le roman ou La nouvelle qui fera de lui un auteur connu.

J’en ai appris pas mal sur le milieu de l’édition de cette époque-là (années 50 et 60), notamment les maisons qui éditaient des « pulps », magazines de fiction les plus populaire en ce temps, faits de papier bas de gamme, qui s’effrite quand on le touche !

Au détour des pages de son autobiographie, j’ai également appris comment lui était venue l’inspiration pour écrire deux autres de ses romans, «  The touch » et «  Les mille et une vies de Billy Milligan ».

Voilà, je crois que j’ai fait le tour de cette œuvre, qui fait partie des classiques enseignés dans les écoles à travers le monde, jusqu’au Japon parait-il !

Ma toute première impression, avant même d’y réfléchir sérieusement, et avant de chercher à rassembler mes idées, faire une synthèse et poser sur le papier (à l’écran) mes arguments, a été de me dire que finalement tout être humain, indépendamment de son niveau d’intelligence, ne recherche que deux choses fondamentales : l’affection et un refuge.

L’affection, l’amour et la reconnaissance des gens qu’il aime, et un refuge où il puisse de sentir en sécurité, où il aurait une place.






17 commentaires:

  1. J'ai lu ce petit bijou entre 15 et 20 ans, au début des années 70's. Ce me fut peut-être un des bouquins-clefs en matière de SF, il appartient à "mes livres pour une île déserte" sur Babelio. Ta belle chronique m'a fait revivre toute une époque de ma vie, celle de la découverte d'un genre qui n'allait pas me quitter.
    Merci.
    Et cerise sur le gâteau tu évoques une nouvelle et une autobiographie que je n'ai jamais lu, sans parler du film que je ne connaissais pas.
    J'ai découvert il y a quelques années que le roman était étudié en classe (collège..?, lycée..?). Et pour çà, chapeau Mr Keyes d'avoir ouvert une brèche SF et d'avoir imposé tout naturellement votre roman dans les listings littéraires de l'Education Nationale. Même si, avant vous, par exemple, Ray Bradbury et ses "Chroniques martiennes" y soient parvenus.
    Maintenant, je me pose deux questions:
    _quelles furent les raisons des professeurs de proposer un tel choix ?
    _de quelles manières les élèves réagirent t'ils ?

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    1. Je n'ai pas étudié cette oeuvre durant ma scolarité, donc je ne sais pas.. mais si j'étais enseignante, il y a plusieurs aspects que j'aimerais présenter à mes élèves.
      - les faire réfléchir sur la question éthique. Faut-il chercher à améliorer l'intelligence ? si oui cela sous-entend t -il que les personnes de faible QI n'ont pas leur place dans la société? ont-ils moins de valeur?
      - Pourquoi y a t'il une différence de regard vis à vis des personnes handicapées. C'est souligné dans le roman d'ailleurs : les gens ont tendance à se moquer, rabaisser les faibles d'esprit, alors que cela ne leur viendrait pas à l'idée face à un handicape physique.
      - L'importance des livres pour accumuler des connaissances.
      Il y en a d'autres! des idées?

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    2. Je trouve que dans la courbe d'intelligence de Charlie, il y a une image de la vie finalement. Grâce à l'opération, la lumière se fait dans son esprit, il s'ouvre au monde, il apprend, il grandit intellectuellement et émotionnellement, comme un enfant... puis il y a la régression, inéluctable. Comme le chemin de la vieillesse, le délabrement physique et intellectuel.. il va vers une sorte de mort..
      Il y a l'exemple de sa mère, dans le roman, je ne sais pas si tu t'en souviens? Il se souvient d'elle comme une femme très énergique, qui le pousse à apprendre pour devenir intelligent, mais quand il la retrouve, elle est atteinte de sénilité..

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    3. L'importance de l'orthographe pour véhiculer des informations précises ? (Encore que cet aspect-là me parait mineur)
      Certaines valeurs de base ne sont t'elles pas indispensables, l'entraide par exemple. surtout s'il s'agit de protéger les plus faibles...? La Tolérance ? L'acceptation de la différence ?
      Et puis, tout simplement, le roman est une belle histoire, à hauteur d'homme qui véhicule des leçons d'humanisme, de gentillesse et de bon sens.

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    4. oui, c'est tout à fait ça... c'est pourquoi le récit est présenté sous forme de journal intime, à la première personne..ça crée un lien plus fort avec le lecteur, on peut presque s'identifier à Charlie, puisqu'on entre dans ses pensées et ses émotions..

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    5. Citation: "Je trouve que dans la courbe d'intelligence de Charlie, il y a une image de la vie finalement." Oui, l'idée d'une boucle: une ascension, un apex, un déclin. Ce qui chez Keyes se réduit à quelques mois s'étale chez nous avec l'ampleur d'une vie normale.
      Citation "Il y a l'exemple de sa mère, dans le roman, je ne sais pas si tu t'en souviens?" >>>> Non, je ne me souviens pas. Mais pour que l'histoire fonctionne et que l'on soit encore plus en empathie avec le héros, il fallait qu'il soit seul, à la merci de tout ce qui passe. De la science par exemple, et de ses expérimentations. L'idée de la sénilité a du venir très très rapidement à Keyes. C'était sans doute aussi pour lui un moyen d'amplifier l'effet dramatique.
      Citation: "on peut presque s'identifier à Charlie" L'effet d'empathie est décuplé. C'est un levier classique dans ce genre de drame. C'est, avec Algernon, ce que j'appelle l'effet Kleenex. Combien de chroniqueurs se sont avoués au bord des larmes bien avant la conclusion et à la dernière phrase avec une énorme boule de chagrin derrière le sternum.

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    6. Est-ce que le bonheur c'est l'intelligence..? Est ce que pour le vivre il ne faut pas porter des oeillières ? Fermer les yeux sur autrui comme le fait le Charlie du début avec ses collègues de travail moqueurs. Dans "l'Oreille interne" de R. Silverberg, le héros a le don de télépathie; ce qui pourrait être un pouvoir ne lui est que malédiction intolérable tant le poids des pensées intimes de ceux qu'il croise sont angoissantes.

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    7. hé bien tu vois, je pense qu'il faut porter des œillères, effectivement...sinon on se pourrit la vie.. mais pas des œillères totales,juste partielles, histoire de détecter les gens qu'il vaut mieux éviter de fréquenter!

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  2. Trois romans SF en liens connexes avec le thème qui nous occupe: à savoir l'accroissement artificiel de l'intelligence. Les deux premiers sont mineurs, le troisième est considéré comme un chef-d'oeuvre.
    "Barrière mentale " (1954) de Poul Andreson: la terre sort d'une zone de radiations cosmiques qui freinaient le développement de l'évolution. Les singes deviennent ce que les hommes sont. Les hommes s'envolent vers le génie. Mais...
    "Quotient intellectuel à vendre" (1972) de John Boyd: un attardé mental reçoit un traitement qui accroît ses capacités intellectuelles qui le conduisent du mauvais côté de la Force. A oublier.
    "Camp de concentration" de Thomas M. Disch (1968): dans un camp militaire on expérimente une substance qui décuple le QI mais tue en quelques mois. Déprimant et lugubre.
    Et un dernier pour la route: "Musique du sang" de Greg Bear. L'intelligence en intra-veineuse via l'injection de cellules "nano-ordinatrices", mais c'est viral et l'intelligence se répand en épidémie.

    Donc, comme tu peux le constater, rien ne vaut, sur le sujet, la sensibilité de Daniel Keyes.

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    1. d'après ce que j'ai pu en lire sur Babélio, ces romans sont peut-être un peu extrêmes dans la SF, les deux premiers peut-être un peu tirés par les cheveux..
      Je ne sais pas si je me trompe, puisque je ne les ai pas lus, mais j'ai l'impression que Algernon a une plus grand part émotionnel, un lien d'empathie entre le lecteur et Charlie.

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    2. Les deux premiers sont des vieilleries (même si le premier a été réédité récemment). Le troisième est le plus intéressant, via son auteur, qui fait partie des meilleurs (mais pour le moins pessimiste et empreint de noirceur totale). Le dernier, le plus récent, je ne l'ai pas lu. Mais il appartient au thème qui nous occupe. Et il a bonne réputation. Tout çà pour dire que le Keyes, lui seul, peut suffire.

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    3. Oui, tu as raison concernant Algernon. Le roman appartient de plein pied à la littérature générale (et à la science-fiction en sous-ensemble). Sa plus grande force est son universalité: il parle à tous. Et par ce biais ne vieillira jamais, survivra aux modes, aux époques, aux écoles, aux genres, à toutes les classifications en tous genres.

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    4. tu fais bien de me le dire , pour le troisième... je fuis les auteurs pessimistes.. ça me plombe! me faut un minimum de beau, d'espoir..

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  3. Et en corollaire encore je ne peux m'empêcher de penser au domaine médical voisin de l'Alzheimer qui met sur le reculoir social tant de nos anciens; qui rabote tant de vies de tout ce qui dépasse en termes d'acquis, de souvenirs et de savoirs; qui gomme les passés des jours heureux et qui, ironiquement, conserve les plaies physiques de l'age, les impossibilités et les douleurs.

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