jeudi 4 avril 2019

Né d'aucune femme, Franck Bouysse





Rose, aînée d'une fratrie de quatre filles, vit avec ses parents dans une ferme des Landes. La vie est rude, c'est la misère, le labeur tous les jours, mais Rose est heureuse. Entourée de ses sœurs, elles ont des moments de joie, de liberté.

Un jour, son père lui demande de l'accompagner au village. Il discute avec un homme que Rose ne connait pas. Elle ne sait pas ce qu'ils se disent, mais voit l'homme donner discrètement une bourse à son père. L'homme lui demande ensuite de le suivre.
Sans explication, sans adieu, la voilà qui change de main, et de vie.
Elle a 14 ans.

Au fil des pages, Rose raconte elle-même ce que fut cette deuxième vie. Comment sa condition de bonne s'est transformée crescendo en cauchemar.
Du jour au lendemain, elle n'était plus personne, coupée de tous ceux qu'elle aimait, son existence se résumait à son utilité.

Franck Bouysse prête sa plume à plusieurs personnages, alternativement à chaque nouveau chapitre.
Il y a Rose bien-sûr, mais aussi son père, Onésime, qui tentera jusqu'à sa mort de réparer sa lâcheté, ce pacte avec le diable qui l'aura poussé à donner sa fille contre une poignée de pièces qu'il ne touchera jamais.
Il y a aussi " Elle", la mère de Rose. On ne connaîtra pas son prénom, elle qui ne faiblira jamais, ou presque.
Au début du récit, nous faisons connaissance avec Gabriel, le curé qui découvrira les cahiers abandonnés par Rose. Ces cahiers qui contiennent toute sa souffrance. Ce curé jouera un rôle majeur à une certaine période de la vie de Rose.
Et puis il y a d'autres personnages à découvrir, anges ou démons.

L'auteur ne situe pas le récit dans le temps, mais on peut supposer, d'après le contexte, que ça se passe au 19ième siècle, ou au début du 20ième. Peu importe d'ailleurs, car ce qui arrive à Rose peut et arrive encore de nos jours, même dans les pays occidentaux, où l'esclavage moderne sévit, bien caché mais réel.

Né d'aucune femme ( vous comprendrez le pourquoi de ce titre à la fin du roman), a été une lecture coup de cœur pour moi. Je trouve la plume de l'auteur belle, les réflexions profondes et justes.

C'est un roman noir bien-sûr, il ne serait en être autrement. Mais toute ombre a besoin de lumière pour se révéler, et notre Rose en vivra quelques-uns, de ces moments de lumière, ces petits bonheurs qui seront sa planche de salut quand la folie semblera être sa seule alternative.


Pour finir, tout au long de ma lecture, j'ai relevé certains passages, que je vous livre ici:

" Les mots, une invention des hommes pour mesurer le monde."

" Les interdits ne sont-ils pas faits pour être franchis, et même saccagés, piétinés, détruits, afin que d'autres apparaissent, encore plus infranchissables et surtout plus enviables?"

"Trois filles arrachées au néant, au motif qu'un homme et une femme se doivent de fabriquer un peu plus qu'eux-mêmes pour échapper au temps, sans penser ni même imaginer un seul instant les malheurs à venir et le cadeau empoisonné que peut devenir une vie. Un cadeau pouvant se révéler bien pire que le néant préalable, qui n'est rien d'autre qu'une absence jamais considérée par les hommes, et pas plus par un dieu.
Parce que sortir un petit être du néant d'avant pour lui offrir celui d'après est une immense responsabilité, et en sortir quatre, une pure folie."

" C'est cette nuit-là que j'ai compris que ça voulait rien dire, dormir, que c'était rien que des petits galops plus ou moins réussis, que la vraie course qui s'arrête jamais, c'est la mort."

" La seule chose qui me rattache à la vie, c'est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce mot existe il me convient. Au moins, les mots, eux, ils me laissent pas tomber. Je les respire, les mots-monstres et tous les autres. Ils décident pour moi. Je désire pourtant pas être sauvée."

" Inspirer la pitié à quelqu'un, c'est faire naître une souffrance pas vécue dans un cœur pas préparé à la recevoir, mais qui voudrait pourtant bien en prendre une part, sans en être vraiment capable. La pitié, c'est le pire des sentiments qu'on peut inspirer aux autres. La pitié, c'est la défaite du cœur." 




21 commentaires:

  1. La thématique abordée semble, quelque part, très proche de celle de Bakhita de Véronique Olmi dont la lecture m'avait enchanté, l'an dernier, sur tes conseils. Et pour les mêmes raisons je lirai "Né d'aucune femme".

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    1. oui, le thème m'a fait penser à "Bakhita" effectivement..le basculement soudain dans l'esclavage, l'enfer..
      Je pense que " Né d'aucune femme" te plairait aussi ;-)

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    2. Je ne me rappelle plus trop la couverture de Bakhita mais celle-ci m'y a fait penser. Si en plus l'histoire est proche.

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  2. J'aime bien le roman choral, un style de narration où les "je" prennent des dimensions différentes en fonction des intervenants, voire des styles d'écriture différents. Les derniers, autant qu'il m'en souvienne me furent "L'été meurtrier" de Japrisot et "Le Cercle de la croix" de Iain Pears (Mais il y en eut certainement d'autres). Chaque participant, de la situation, détient une part de vérité; de l'ensemble nait toujours un tout plus grand que la somme des parties.

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    1. oui, chacun apporte sa vision des événements, ses sentiments...

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    2. Alvin, dans le genre roman à plusieurs voix, Je veux ton avis sur un roman dément de Palahniuk, Peste. 54 narrateurs!!!

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    3. Je frôle en PAL "Fight Club" (jamais lu, jamais vu). Il a en fandom SF ses inconditionnels qui rameutent les nouveaux lecteurs via leur enthousiasme indéfectible. Je le pressens, à l'égal, de Vonnergut Jr. (Abattoir5) en bordure de genre (volontairement). Les titres défilent et drainent toujours des critiques curieuses mais qui poussent à la lecture. Il va me falloir m'y mettre. Alors pourquoi pas "Peste" ? 54 narrateurs quand même, çà fait beaucoup. Moi, qui tient à jour à chaque lecture, un marque-page qui liste les différents personnages du roman en cours (histoire de ne pas me perdre).

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    4. J'ai fait une erreur. C'est 56 voix!

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    5. Alvin, en adepte de "mauvais genre" que tu es, tu dois te pencher sur Palahniuk. C'est un narrateur hors pair. La plupart de ces romans sont d'une maitrise magistrale (et originale).

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    6. Oui, il y a des trous chez chacun des adeptes de "mauvais genres". J'en connais un, bien enraciné et érudit en amateur dans le genre, qui n'a jamais lu Dune. Comment est-ce possible..? Me concernant, c'est Palaniuk, Heinlein, un temps Sheppard (merci Jim) et Le Guin... etc.
      Palaniuk: j'ai la sensation diffuse de passer à côté de quelque chose. Or donc: corriger le tir il convient, tu as raison.

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  3. La dernière citation est d'une noirceur redoutable.

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  4. Il a l'air intéressant ce roman, je verrais bien si je tombe dessus (quand il sortira en poche). En attendant, il faudra que je me penche sur Bakhita qui est dans ma PAL de gros livres.

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    1. Bakhita est en plus une histoire vraie.. il m'avait beaucoup marquée ( c'était d'ailleurs mon coup de coeur 2018)

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    2. ... la prose incluse y est étonnante, singulière et belle. J'avais lu le roman sur les conseils de Cheyenne. Elle avait eu raison de m'y pousser.

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    3. Bon, je vais me rapprocher de ce roman alors…

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  5. Whou..., ç’a l’air terrible, cette histoire.

    Avin : « La dernière citation est d'une noirceur redoutable. »

    Aussi.

    Cheyenne : « Mais toute ombre a besoin de lumière pour se révéler, et notre Rose en vivra quelques-uns, de ces moments de lumière, ces petits bonheurs qui seront sa planche de salut quand la folie semblera être sa seule alternative. »

    Ne voulais-tu pas plutôt dire « toute lumière a besoin d’ombre pour se révéler » (la suite de ta phrase va dans ce sens...)

    Je les chéris ces moments, dans mes lectures noires ; ils sont précieux.

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    1. Jim, oui tu as raison..je devais avoir le cerveau à l'envers qd j'ai écrit mon texte :-D

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    2. https://image.noelshack.com/fichiers/2019/17/5/1556277101-aaaaaaaaa-avatar.jpg

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    3. oui, c'est exactement ça Avin :-D

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    4. D-: uıʌɐ ɐç ʇuǝɯǝʇɔɐxǝ ʇsǝ,ɔ 'ıno

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