Il s’agit ici d’un recueil de deux nouvelles : la plus
longue porte le titre de « Batouala », et la seconde, nettement plus
courte, s’intitule « Youmba la mangouste ».
Batouala a remporté le prix Goncourt en 1921, mais en le
lisant je ne lui ai rien trouvé de spécial. La faute au temps qui passe et à l’évolution
des mentalités (heureusement).
En replaçant ce récit dans le contexte de l’époque, cela
prend une toute autre dimension. On se rend alors compte de l’audace de René
Maran et du tollé que ce court roman a dû engendrer à sa publication ! Un récit sur les « nègres », écrit
par un « nègre » (en reprenant le terme de l’époque). Il fallait le
faire, à une époque où les noirs étaient considérés comme des moins que rien,
des êtres sans intelligence ni conscience, moins que des animaux.
L’auteur nous transporte en Afrique équatoriale, aux côtés
de Batouala, grand chef respecté de la brousse. Il nous conte son quotidien, sa
vie de "mâle dominant" entouré de ses nombreuses épouses, de son petit chien roux
aux oreilles pointues, de ses traditions, de la succession des saisons, de la
chasse et des rivalités et jalousies entre guerriers. La plume de René Maran a
quelque chose de poétique. Il nous apporte quantité de descriptions et nous
transmet quelques légendes du peuple de la brousse. Des histoires qui se
transmettent de génération en génération, depuis la nuit des temps.
L’homme blanc est évidemment présent dans ce récit, puisque
la France a colonisé cette partie de l’Afrique. Il n’est pas le centre de cette
histoire et n’est pas abordé de front, mais je dirais plutôt qu’il est évoqué,
comme une présence dérangeante et malfaisante, en périphérie de la vie des
habitants originels de la brousse.
Le « Commandant » est souvent cité. Il est craint
et haïs, et on comprend bien tous les bouleversements qu’il apporte, aussi bien
sur place en modifiant le style de vie des noirs, mais aussi en charriant avec
lui cette menace d’un ailleurs qu’ils ne connaissent pas, cette France lointaine
mangeuse de tirailleurs africains, pour une guerre qui ne les concerne pas.
Avant de se plonger dans le récit proprement dit, il est
très important de ne pas négliger la lecture de la préface. L’auteur y apporte
un éclairage particulier sur la construction de son roman, et on comprend mieux
tout le poids de cet écrit. Moi qui m’attendais à quelque chose de beaucoup
plus dur, d’une sorte de dénonciation brutale des conditions de vie des noirs,
j’ai trouvé au final ce récit très « soft ». Alors lorsqu'on sait la
tempête qu’il a soulevée dans les années 20, on prend la mesure du climat de la
planète à cette époque !
Je vais écrire quelques lignes à présent sur la deuxième
nouvelle.
Au départ, je ne voyais pas bien l’intérêt d’écrire une
histoire sur la vie d’une mangouste. Si ce n’est l’occasion de décrire la
brousse et ses habitants, la saison des pluies, la saison sèche et les conflits
humains qui obligent toute cette faune à rester sur ses gardes.
Et puis en prenant du recul, j’ai compris. René Maran, à l’image
de La Fontaine, nous a présenté un genre de fable, en prenant une mangouste
pour emblème (pourquoi pas après tout ?), afin de dénoncer les relations
entre blancs et noirs. La mangouste représente le noir, et l’humain qu’elle côtoie
(un noir qui lui a permis de vivre dans sa case en échange de ses services de
chasseuse de nuisibles), représente le blanc.
Je n’en dirai pas plus sur cette interprétation, car je
pense qu’il appartient à chacun de comprendre à sa manière.
J’ai lu ce recueil de nouvelles en format numérique. Le tout
fait 154 pages et je pense qu’il est intéressant de le lire, ne serait-ce que
pour sa valeur historique et la richesse de ses descriptions.
Bonne lecture.