mercredi 30 mai 2018

mardi 22 mai 2018

Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes






J’ai lu l’édition augmentée de cette œuvre de Daniel Keyes. Elle contient la nouvelle originale (1959), le roman qui en a été tiré (1966), ainsi que l’autobiographie «  Algernon, Charlie et moi, trajectoire d’un écrivain »(2000).



J’ai commencé ma lecture par le roman, qui fait à peu près 300 pages.

Je me suis souvent fait la réflexion que les 4ième de couverture en disaient beaucoup trop. Cela casse le charme de la découverte…

Dans le cas de ce roman, on sait à quoi s’attendre dans les grandes lignes, à savoir qu’une équipe de scientifiques expérimentent une toute nouvelle technique sur un simple d’esprit, pour augmenter artificiellement son intelligence. Charlie Gordon sera le premier être humain à être « utilisé », après Algernon, la petite souris blanche.

Heureusement, ce sont les petites lignes qui ont le plus d’importance. La dimension psychologique et émotionnelle de Charlie, tout au long du processus de croissance de son intelligence et sa prise de conscience sur son état au fur et à mesure que la lumière se fait dans son esprit.

Charlie doit écrire régulièrement des comptes rendus sur ce qu’il pense et ressent, avant et après l’opération, afin que les scientifiques mesurent sa progression, en terme de vocabulaire et complexité de langage.

Le récit ainsi présenté, et l’emploi du «  je », fait d’emblée entrer le lecteur en empathie avec Charlie. On ne reste pas simple spectateur de tout ce qui lui arrive, non, puisqu’on devient Charlie, on s’installe au cœur de sa pensée, ses émotions, ses interrogations, ses doutes, ses craintes, ses souvenirs.

Dans tous les domaines de la vie, et dans celui de l’intelligence en particulier, tout est relatif. Mais je pense que l’auteur a voulu mettre en scène des extrêmes, afin de bien montrer le fossé qui peut être creusé entre des personnes de QI différents… Un Charlie attardé mental, avec un QI de 70, face à des scientifiques et il a l’impression que ce sont des génies !

Même ses collègues de travail, pourtant pas très instruits, lui paraissent très intelligents…

Après l’opération qu’il subit au cerveau, et tous les traitements qui s’en suivent, il change, devient de plus en plus intelligent… Notre sympathique Charlie accède petit à petit à ce qu’il a toujours ardemment souhaité depuis sa plus tendre enfance, sa plus grande motivation : être comme tout le monde, être aussi intelligent qu’eux.

Sauf que son ascension va aller plus loin, car il va tripler son QI en quelques mois à peine, et va finalement se trouver une nouvelle fois en décalage face au reste du monde. Un génie incapable de communiquer même avec des scientifiques, qu’il voit désormais comme des imposteurs, se trouve même déçu de leur manque de connaissances, leurs limites intellectuelles…

D’où la théorie de la relativité universelle : «  chacun d’entre nous est le génie de quelqu’un, et peut, parallèlement, être le con d’un autre ».

La petite souris blanche, avec ses petits yeux noirs cerclés de rose, a son nom dans le titre du livre, et même si elle n’est pas l’élément central du récit, elle a une grande importance dans l’incroyable expérience que va connaitre Charlie. D’abord parce qu’elle a subi la même opération que lui, avant lui. Et puis parce qu’elle sera son éclaireur sur le chemin de la progression de l’intelligence, puis de la régression…Il anticipera donc son avenir proche, avec tout ce que cela implique en préparation mentale et conflits émotionnels.

En parlant de conflits émotionnels, Charlie va aussi connaitre une courbe de croissance dans ce domaine, mais en décalage par rapport à l’intelligence… Un génie avec le niveau émotionnel d’un petit garçon. Totalement immature donc, bloqué et plein d’appréhension lorsqu’il s’agit d’approcher la femme dont il est amoureux.

En choisissant un sujet comme Charlie, l’auteur met également en lumière le comportement des gens dits «  normaux » intellectuellement vis-à-vis des simples d’esprits. Les jugements négatifs, les moqueries et la dévalorisation. Ironie du sort, notre héros lui-même tombera dans ce piège en oubliant ce qu’il fut dans un passé pas si lointain…

Une belle leçon de tolérance et d’acceptation. Le niveau du QI n’exclut pas certaines personnes de la catégorie des êtres humains !

Mes sentiments au cours de cette lecture ont varié en fonction de l'état de Charlie.

De l'espoir et de l'enthousiasme avant l'opération. Puis de la curiosité et de l'émerveillement pendant le processus de l'éveil à l'intelligence. Comment Charlie réagit en sortant petit à petit de la brume de son esprit, découvre le plaisir d'apprendre et de se rappeler, fouille dans ses souvenirs pour faire ressurgir des scènes de son passé afin de mieux comprendre son état émotionnel.

A l'apogée de son intelligence de génie apparaît l'inévitable frustration, l'agacement de constater la bêtise du reste du monde! Hé oui, il n'est pas bon d'être dans les extrêmes..

Le pire a été la prise de conscience que tout cela allait prendre fin très rapidement. La chute inexorable qui l'attendait au bout du chemin. Un sentiment d'impuissance, de course contre le temps.

Comment accepter un retour dans le noir après avoir connu la lumière?


Je me suis ensuite penchée sur la nouvelle :

Il y a quelques petites choses qui sont différentes dans cette courte version de moins de 50 pages. Et bien sûr toute une partie de l’histoire qui n’est pas traitée.

Je dois dire que j’ai trouvé peu d’attrait à cette lecture. Je n’aime pas vraiment les nouvelles habituellement. C’est trop court, je préfère lorsque les idées sont traitées plus en profondeur.
Et puis de toute façon, je savais déjà tout ce qu’il y avait à savoir, grâce au roman.

La 3ième étape a été de regarder le film tiré de ladite nouvelle. Il s’agit de la version dont l’acteur principal (et unique) est Grégory Gadebois.

 Voici la vidéo du film complet :







J’ai été très touchée par le jeu de l’acteur, et la façon dont l’histoire a été tournée.

Pendant presque 1h30, il est seul face à la caméra, il parle comme s’il écrivait ses comptes rendus.

On le voit dans différentes situations, avant et après l’opération. Il se transforme, mais reste seul. On dirait que ça lui colle à la peau. Solitude et incompréhension. Toute l’histoire de sa vie…

4ième et dernier volet de mon aventure avec Daniel Keyes, son autobiographie !

Elle fait 200 pages, et constitue à elle seule un petit roman, très instructif.

Je me suis toujours demandée comment les auteurs construisent les scénarios de leurs romans..

Hé bien maintenant je sais ! En tout cas pour cet auteur-là. Bien entendu, chacun a sa recette, selon sa personnalité et son mode de fonctionnement.

Dans son autobiographie, Daniel Keyes aborde ses jeunes années, quand il était étudiant, puis quand il a rejoint la marine. Il parle de son rêve de devenir écrivain, ses espoirs et ses déceptions. Tous les petits boulots qu’il a dû faire pour subvenir aux besoins de sa famille, sans perdre de vue son projet d’écrire Le roman ou La nouvelle qui fera de lui un auteur connu.

J’en ai appris pas mal sur le milieu de l’édition de cette époque-là (années 50 et 60), notamment les maisons qui éditaient des « pulps », magazines de fiction les plus populaire en ce temps, faits de papier bas de gamme, qui s’effrite quand on le touche !

Au détour des pages de son autobiographie, j’ai également appris comment lui était venue l’inspiration pour écrire deux autres de ses romans, «  The touch » et «  Les mille et une vies de Billy Milligan ».

Voilà, je crois que j’ai fait le tour de cette œuvre, qui fait partie des classiques enseignés dans les écoles à travers le monde, jusqu’au Japon parait-il !

Ma toute première impression, avant même d’y réfléchir sérieusement, et avant de chercher à rassembler mes idées, faire une synthèse et poser sur le papier (à l’écran) mes arguments, a été de me dire que finalement tout être humain, indépendamment de son niveau d’intelligence, ne recherche que deux choses fondamentales : l’affection et un refuge.

L’affection, l’amour et la reconnaissance des gens qu’il aime, et un refuge où il puisse de sentir en sécurité, où il aurait une place.






dimanche 13 mai 2018

Trois filles d’Ève , Elif Shafak






Trois filles d’Eve, même origine, mais trois voies différentes.

La pécheresse, la croyante et la déboussolée. Trois musulmanes, trois choix, trois destins.

Habituellement, lorsque je termine un livre, je me lance tout de suite dans la rédaction de mon ressenti. Mais là, impossible. Je ne savais pas vraiment par où commencer tant le roman est dense, riche. Elif Shafak signe là un récit engagé, parfois acide, elle dénonce sans langue de bois les dérives du gouvernement turc, en parlant notamment de la pratique de la torture dans les prisons. Ce passage m’a d’ailleurs donné la nausée… Elle jette aussi un regard acéré sur la société stambouliote, cette masse mouvante, qui peut tout broyer sur son passage, indifférente, parfois agressive et violente.

« Cette perte collective de toute raison avait quelque chose d'insondable: si un nombre suffisant de regards éprouvait la même hallucination, elle devenait vérité; si ceux qui riaient de la même misère étaient assez nombreux, elle se changeait en petite blague amusante. »
(Page 14.)

Peri, l’héroïne turque, est la déboussolée des trois filles d’Eve. Coincée entre un père moderniste et laïc,  et une mère excessivement pieuse. Elle a grandi dans un genre de flou, incapable de se positionner, de trancher entre ses modèles parentaux.

« N'y a-t-il vraiment pas d'autre voie, pas d'autre espace pour les choses qui ne relèvent ni de la croyance ni de l'incrédulité - ni pure religion ni pure raison? Un troisième chemin pour les gens comme moi? Pour ceux d'entre nous qui trouvent les dualités trop rigides et ne souhaitent pas s'y conformer? Parce qu'il en existe sûrement qui partagent mes sentiments.
Comme si je cherchais une langue nouvelle. Une langue fugace qui n'est parlée par personne d'autre que moi... ».
(page 80)

Les deux autres filles d’Eve, Shirin la pécheresse et Mona la croyante, ne sont finalement là que pour illustrer la dichotomie qui caractérise la jeunesse musulmane, et plus particulièrement ceux qui sont exposés à la culture occidentale.

L’auteure fait osciller le récit entre passé et présent :

Istanbul, 2016. Peri est  épouse et mère. Elle fait partie de la bourgeoisie stambouliote tout en se sentant différente, se pose en observatrice de l’hypocrisie de cette classe de la population. C’est cette Peri-là qui fait un genre de rétrospection, durant un diner qui regroupe tout le gratin de la haute bourgeoisie d’Istanbul, et repense à son enfance ainsi qu’à ses années d’étude à Oxford. 

Début des années 2000 avec une  Peri jeune et étudiante à Oxford, période d’intenses réflexions et questionnements sur Dieu, le sens des religions, le fonctionnement des sociétés occidentales et celles du Moyen-Orient. L’entrée en scène d’un professeur pas comme les autres, ainsi que la présence de ses amies, Shirin la musulmane pécheresse et Mona la croyante voilée, vont nourrir les interrogations de la jeune fille et son ambivalence vis-à-vis de la foi.

« ... pour une foule de croyants, les mots des prières étaient des sons sacrés qu'il fallait non pas tant pénétrer qu'imiter - un écho sans début ni fin, où l'acte de penser se réduisait à l'acte de mimer. Dans le sein protégé de la foi, on trouvait les réponses en abandonnant la question, on avançait en se livrant. »
( page 192)

Ce trio illustre l’état de la société turque, de sa jeunesse en perte de repères, dont une partie se tourne vers la religion, et une autre veut s’ouvrir et progresser. Et puis entre les deux, il y a ceux qui doutent.
En bref, il s’agit d’une crise identitaire à laquelle les jeunes musulmans qui sont exposés à plusieurs cultures sont confrontés.

« Les croyants préfèrent les réponses aux questions, la clarté à l'incertitude. Les athées de même, à peu de chose près.
C'est drôle, quant il s'agit de Dieu, dont nous ne savons à peu près rien, très peu d'entre nous osent franchement dire : " Je ne sais pas." »
(page 192)

Pour finir, si je devais extraire de ce roman une idée directrice, sa substance principale, je dirai que l’auteure nous a livré une profonde réflexion sur la présence divine -  indépendamment de toute religion-,  sur le sens de la vie et la place de chacun dans le monde, le rôle qu’il est censé y jouer. Et puis aussi, il y a les questions sans réponse, la violence, la barbarie, le terrorisme qui ébranle certaines parties du monde…

Un très beau roman, sensible et plein de relief.




vendredi 11 mai 2018

Albert Einstein




" C'est la personne humaine, libre et créatrice, qui façonne le beau et le sublime, alors que les masses restent entraînées dans une ronde infernale d'imbécillité et d'abrutissement."