dimanche 17 novembre 2019

Batouala, de René Maran





Il s’agit ici d’un recueil de deux nouvelles : la plus longue porte le titre de « Batouala », et la seconde, nettement plus courte, s’intitule «  Youmba la mangouste ».

Batouala a remporté le prix Goncourt en 1921, mais en le lisant je ne lui ai rien trouvé de spécial. La faute au temps qui passe et à l’évolution des mentalités (heureusement). 

En replaçant ce récit dans le contexte de l’époque, cela prend une toute autre dimension. On se rend alors compte de l’audace de René Maran et du tollé que ce court roman a dû engendrer à sa publication !  Un récit sur les « nègres », écrit par un «  nègre » (en reprenant le terme de l’époque). Il fallait le faire, à une époque où les noirs étaient considérés comme des moins que rien, des êtres sans intelligence ni conscience, moins que des animaux.

L’auteur nous transporte en Afrique équatoriale, aux côtés de Batouala, grand chef respecté de la brousse. Il nous conte son quotidien, sa vie de "mâle dominant" entouré de ses nombreuses épouses, de son petit chien roux aux oreilles pointues, de ses traditions, de la succession des saisons, de la chasse et des rivalités et jalousies entre guerriers. La plume de René Maran a quelque chose de poétique. Il nous apporte quantité de descriptions et nous transmet quelques légendes du peuple de la brousse. Des histoires qui se transmettent de génération en génération, depuis la nuit des temps. 

L’homme blanc est évidemment présent dans ce récit, puisque la France a colonisé cette partie de l’Afrique. Il n’est pas le centre de cette histoire et n’est pas abordé de front, mais je dirais plutôt qu’il est évoqué, comme une présence dérangeante et malfaisante, en périphérie de la vie des habitants originels de la brousse. 

Le «  Commandant » est souvent cité. Il est craint et haïs, et on comprend bien tous les bouleversements qu’il apporte, aussi bien sur place en modifiant le style de vie des noirs, mais aussi en charriant avec lui cette menace d’un ailleurs qu’ils ne connaissent pas, cette France lointaine mangeuse de tirailleurs africains, pour une guerre qui ne les concerne pas.

Avant de se plonger dans le récit proprement dit, il est très important de ne pas négliger la lecture de la préface. L’auteur y apporte un éclairage particulier sur la construction de son roman, et on comprend mieux tout le poids de cet écrit. Moi qui m’attendais à quelque chose de beaucoup plus dur, d’une sorte de dénonciation brutale des conditions de vie des noirs, j’ai trouvé au final ce récit très «  soft ». Alors lorsqu'on sait la tempête qu’il a soulevée dans les années 20, on prend la mesure du climat de la planète à cette époque ! 

Je vais écrire quelques lignes à présent sur la deuxième nouvelle.

Au départ, je ne voyais pas bien l’intérêt d’écrire une histoire sur la vie d’une mangouste. Si ce n’est l’occasion de décrire la brousse et ses habitants, la saison des pluies, la saison sèche et les conflits humains qui obligent toute cette faune à rester sur ses gardes. 

Et puis en prenant du recul, j’ai compris. René Maran, à l’image de La Fontaine, nous a présenté un genre de fable, en prenant une mangouste pour emblème (pourquoi pas après tout ?), afin de dénoncer les relations entre blancs et noirs. La mangouste représente le noir, et l’humain qu’elle côtoie (un noir qui lui a permis de vivre dans sa case en échange de ses services de chasseuse de nuisibles), représente le blanc. 

Je n’en dirai pas plus sur cette interprétation, car je pense qu’il appartient à chacun de comprendre à sa manière. 

J’ai lu ce recueil de nouvelles en format numérique. Le tout fait 154 pages et je pense qu’il est intéressant de le lire, ne serait-ce que pour sa valeur historique et la richesse de ses descriptions.

Bonne lecture. 




16 commentaires:

  1. Tes chroniques de ce genre de récits sont toujours habiles et argumentées. On y sent un fort ressenti, une empathie profonde, de l'implication, un message lancè. Presque une colère. Je me souviens de celle de Bahkita, elle m'avait laissé la même impression.

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    1. Le fort ressenti et l'empathie profonde c'était plutôt pour Bakhita.. pour Batouala c'est différent, car j'y vois surtout un intérêt historique. Il Faut le lire en gardant à l'esprit le contexte de l'époque..car s'il avait été écrit de nos jours, il serait passé inaperçu, je pense..

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  2. Concernant la forme jugée "soft": pouvait t'il en être autrement à l'époque ? Est-ce que Bahkita, du moins dans la violence crue de nombre de ses passages, aurait pu sortir en 1921 ? Elle aurait servi une censure qui y aurait trouvé prétexte à rendre au silence des échos peu reluisants d'une France blanche si lointaine. On dénonce de nos jours, on taisait alors; et quand un bout d'ignominie dont on était responsable dépassait on le coupait.

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    1. oui, tu as raison.. si l'auteur voulait avoir une chance de voir son roman publié, il était bien obligé de prendre des gants.

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    2. Il explique bien dans la préface, qu'il s'est posé comme un simple observateur, qu'il a rapporté ce qu'il a vu et entendu .. autrement dit, il s'est montré le plus neutre possible.
      Décrire la vie des noirs dans la brousse, c'est démontrer leur humanité, puisqu'à l'époque ça ne devait pas aller de soi... la vie des noirs, leurs problèmes, leurs rivalités, c'est la même que pour tous les hommes de la Terre, sans distinction de couleur..
      Et puis, la manière de vivre et les traditions des noirs étaient considérées comme barbares? qu'en est-il de l'Europe à la même période? n'étaient-ils pas en train de s'entre-tuer comme des sauvages?

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    3. Ce qui est " drôle", c'est que dans toutes les histoires de colonisation, les occidentaux se sont posés en sauveurs de tous ces peuples qu'ils jugeaient arriérés...
      Il leur ont appris à travailler, ont tracer leurs terres de routes, de ponts, leur ont appris à vivre dans des maisons en dur, à s'habiller, se convertir à telle ou telle religion..
      Mais travailler pour trois sous, c'est un truc de blanc.. eux vivaient en bonne harmonie avec la nature, au gré des saisons. Ils avaient leur propre manières de vivre, mieux ou pire, peu importe, car c'était la leur.

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    4. Citation, Cheyenne: "Et puis, la manière de vivre et les traditions des noirs étaient considérées comme barbares? qu'en est-il de l'Europe à la même période? n'étaient-ils pas en train de s'entre-tuer comme des sauvages?"
      >>> ... et à mettre souvent au plus près des lignes allemandes, au plus risqué des tranchées, des troupes noires de qui on ne retenait qu'une seule chose: ils étaient français quand çà arrangeait et devaient encore le prouver au plus chaud de la bataille.

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  3. Dernière intervention, et puis je me tais, sous forme de question: comment en es-tu venu à lire ce roman.?

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    1. j'ai vu passer une vidéo sur Facebook, et le sujet a titillé ma curiosité... j'espère que tu vas le lire ;-)

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    2. Cheyenne, citation: "j'ai vu passer une vidéo sur Facebook"
      >>>> T'as le lien ? (comme si je ne le savais pas)

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    3. https://www.facebook.com/franceinter/videos/767640280367838/?v=767640280367838

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  4. Alors perso, c'est le genre de sujet qui ne m'intéresse absolument pas. Je suis tellement fatiguée qu'il y ait encore des gens pour qui la couleur de peau s'inscrit dans une échelle de valeur C'est tellement archaïque comme pensée que ce qui traite de ça me lasse profondément. je ne vais donc pas lire ce Prix Goncourt mais j'ai quand même envie de lire Bahkita (peut-être car je ne sais pas de quoi il parle)

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    1. "Bahkita", nous l'avons chroniqué tous les deux, Cheyenne et moi..!

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    2. Nicolas, ce n'est pas la peine non plus de lire Bakhita, dans ce cas ;-) en plus du thème, Bakhita est très dur.. âmes sensibles s'abstenir..

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    3. Cheyenne, remarque que je ne me presse pas! Mais au delà du thème général, il y a quand même une histoire et c'est ce qui va me séduire ou non. En tout cas, je croyais que je l'avais en PAL mais je le trouve pas, c'est mes beau-parents qui doivent l'avoir.

      Alvin, je sais et si j'ai ce titre (entre autres) en tête c'est à cause de vous (et j'ai du venir commenter).

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