samedi 7 mars 2020

Le Vagabond des étoiles, de Jack London





L’édition que j’ai date de 1978, et est présentée en deux tomes. Chacun a, en plus du récit proprement dit, plusieurs pages de documentation : sur la genèse du roman, mais aussi des témoignages. J’y reviendrai.

Le Vagabond des étoiles, c’est Darrell Standing. Un aventurier du temps et de l’espace que l’auteur fera voyager à travers l’Histoire, en un fabuleux périple fantastique. 

Mais avant de nous entrainer parmi les étoiles, revenons au commencement : 

Darrell Standing est un repris de justice, un prisonnier condamné à la peine de mort par pendaison. 

Darrell est aussi le narrateur de ce récit, puisqu’il écrit ses «  mémoires » avant le saut final, en 1913.

Huit ans auparavant, il était professeur d’agronomie à l’Université, jusqu’au jour où il commit un crime passionnel, en tuant un collègue. Il fut alors condamné à cinquante ans de prison à San Quantin, prison d’Etat en Californie. Mais un incident de parcours va finalement modifier sa peine en pendaison. 

Jack London, à travers la plume de son héros, dénonce les conditions abominables de détention dans les prisons américaines. La maltraitance et les actes de barbarie commis à leur encontre sont insupportables et inadmissibles dans une société «  civilisée », au début du XX siècle. Quels que soient les crimes de ces hommes, rien ne justifiait de tels comportements, et bien souvent les meurtres légalisés de leurs bourreaux. 

En se basant sur les témoignages de prisonniers de cette prison, Jack London fera vivre à son héros l’enfer de la détention, et plus particulièrement celui de la camisole de force. 

Enfermé dans une geôle du quartier d’isolement, Darrell Standing passera des années dans l’obscurité, la solitude et le silence. Régulièrement sanglé dans cette épouvantable camisole, il vivra mille souffrances et son corps en gardera les stigmates jusqu’à sa mort.

« Les hommes les plus intelligents sont souvent cruels. Les imbéciles le sont d'une façon magistrale. Or, les geôliers et les hommes qui me tenaient en leur pouvoir, du gouverneur au dernier d'entre eux, étaient des phénomènes d'idiotie. »

L’auteur donnera à Standing deux voisins de geôle : Ed. Morrell et Jake Oppenheimer, les deux prisonniers réels qui ont inspiré son histoire. Entre eux naitront des tas d’échanges silencieux, à coups de phalanges donnés contre les murs de leurs cellules. 

C’est au cours de ces périodes interminables de camisole que notre héros va vivre des expériences de « petite mort », qui l’amèneront à s’évader de son corps meurtri et de voyager en toute liberté.

Le témoignage de Ed. Morrell rapporte qu’il a réellement vécu des expériences de décorporation. A chacun de se faire sa propre opinion là-dessus, mais qui peut vraiment juger du caractère plausible ou purement imaginaire d’un tel phénomène ? Lorsque le corps est au seuil de la mort, que la douleur devient insupportable, l’esprit cherche par tous les moyens à se préserver, et peut-être est-il capable de développer des capacités inaccessibles au commun des mortels.

« Vous mes concitoyens, qui tolérez tous ces chiens de bourreaux, vous qui les payez et leur permettez de ficeler en votre nom des malheureux dans la camisole de force, laissez-moi vous expliquer un peu de quoi il s'agit, car vous l'ignorez sans doute. Alors vous comprendrez comment à force de souffrances, je me suis, vivant, enfui de cette vie et, devenu maître de l'espace et du temps, j'ai pu m'envoler hors des murs de ma géhenne, jusqu'aux étoiles. »

La mort ou la folie, le choix est plutôt restreint… Ed. Morrell, et à travers lui Darrell Standing, ont eu recours à une sorte d’auto-hypnose, afin de commander à leurs corps de « mourir », et à leurs esprits de prendre le contrôle et de s’échapper. 

Le Vagabond des étoiles nous fera alors vivre une extraordinaire épopée qui contraste avec l’enfermement et l’immobilisme de la prison. 

Parmi ses incarnations passées, il sera par exemple un petit garçon de neuf ans, durant la migration et la conquête de l’Ouest des États-Unis, un esclave Danois devenu soldat de la Légion Romaine, engagé auprès de Ponce Pilate, au temps de Jésus, ou encore un marin échoué sur un îlot rocheux, et bien d’autres encore.

De simple misérable à Roi respecté, il vivra d’innombrables vies, et connaitra l’évolution de l’Humanité, depuis les temps préhistoriques les plus reculés, jusqu’à l’époque moderne. Il en tirera des leçons spirituelles et philosophiques qui le conforteront dans l’idée de la supériorité et de l’immortalité de l’esprit sur la matière. 

« Il n'y a pas de mort absolue. L'esprit est la vie, et l'esprit ne saurait mourir. Seule la chair passe et meurt et, par l'effet de fermentations chimiques, se transforme et se dissout pour renaître ensuite, comme une matière malléable, sous des formes nouvelles, diverses, et éphémères qui, à leur tour, périront pour renaître encore. L'esprit seul souffre et continue à se reconstruire à travers des incarnations successives, sans fin jusqu'à ce qu'il atteigne la lumière. »

Le but de l’auteur était en premier lieu d’alerter les gens sur les abominations qui se déroulaient derrière les murs épais des prisons.

Aujourd’hui, dans les pays occidentaux, les choses ont changé, mais qu’en est-il dans d’autres parties du monde ? Certains pays n’ont pas vraiment d’affinités avec les Droits de l’Homme, et à l’heure même où j’écris ces lignes, combien d’êtres humains sont en train de vivre mille supplices ?
Pour eux, il est encore temps d’ouvrir les consciences et d’agir.

Le Vagabond des étoiles est un très beau roman, empreint  d'humanisme et de liberté. C'est un roman qui marque durablement, un roman inoubliable.

Bonne lecture.



6 commentaires:

  1. Excellente chronique qui donne envie, une nouvelle fois. On te sent en empathie avec le récit offert, avec les problèmes qu'il soulève, avec le personnage principal.
    J'avais repéré le bouquin sur quelques essais/ouvrages vulgarisateurs de thématiques SF et/ou Fantastique, ils en faisaient l'éloge non seulement via les qualités stylistiques de l'auteur mais surtout via son pitch qui l'apparentait clairement aux deux genres sus-cités. Vrai, j'en suis très curieux et mon temps viendra de le lire. Je ne l'ai pas en PAL, mais vais me débrouiller pour l'acquérir.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Avin, ce qui est intéressant aussi, en tout cas avec l'édition que j'ai, ce sont les pages documentaires, les témoignages des prisonniers ou ex-prisonniers..

      Supprimer
  2. Il me semble un roman magistral. J'avais pris une claque avec Martin Eden et pourtant, j'ai pas eu l'occasion de retourner vers London. Voila qui ravive ma mémoire. Je vais me le noter, ça coute rien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui, Nicolas, c'est un roman magistral..
      Martin Eden, je ne connais pas. Chez moi il me reste Croc blanc à lire..ce sera pour bientôt :-)

      Supprimer
  3. Merci pour cette belle chronique, Cheyenne.
    J’avoue que j’ai peu lu Jack London (L’appel de la forêt, c’est chouette pour un gosse – aujourd’hui comme hier, je parie...) mais je me suis promis d’en lire plus : son engagement, son humanisme, le fait qu’il n’hésite pas à passer d’un domaine littéraire à un autre..., me le rendent sympathique.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le Vagabond des étoiles représente bien l'engagement et l'humanisme de l'auteur ;-)

      Supprimer