jeudi 29 avril 2021

Cannibale, de Didier Daeninckx

 


 

Deux blogs (Le Bouddha de Jade & La Convergence des Parallèles) s’associent le temps d’une chronique commune, autour d’un même roman.

Le Bouddha de Jade : Cannibale est une nouvelle de moins de 100 pages, dans laquelle l’auteur relate un fait s’étant produit durant l’Exposition Coloniale de 1931, à Paris. Je ne commenterai pas le fait en lui-même, mais tout ce qui entoure le principe de cette exposition. Je ne savais pas qu’un tel évènement avait eu lieu dans les années 30, mais ne m’en étonne pas. C’était une autre époque, celle des colonies, des grandes puissances, des territoires exotiques lointains au parfum de sauvagerie.

La Convergence des Parallèles : L’évènement avait une chanson-phare interprétée par Alibert. Son titre: "Nenufar". Didier Daeninckx n’en offre, hélas, qu’un petit bout de rien dans le roman. Je suis curieux, j’ai creusé plus avant et j'ai trouvé via le Web. Voici les paroles dans leur presque exhaustivité ; elles étaient, hélas, dans l’air du temps. Tu vas comprendre vite que, de nos jours, elles seraient, à juste titre censurées.

« Quittant son pays
Un p'tit négro
Vint jusqu'à Paris
Voir l'exposition coloniale
C'était Nénufar
Un joyeux lascar
Pour être élégant
C'est aux pieds qu'il mettait ses gants.
Nénufar T'as du r'tard
Mais t'es un p'tit rigolard
T'es nu comme un ver
Tu as le nez en l'air
Et les ch'veux en paille de fer
… [ ] …
Faut pas croire toujours  
Tout c'que Nénufar raconte
Ainsi l'autre jour
Il m'a dit
Quand je fais mes comptes
A la craie j'écris
Sur l'dos d'ma chérie
Et d'un coup d'torchon
Après j'efface les additions.
 … [ ] …
Un jour Nénufar
Entra dans une grande parfumerie
Il voulait des fards pour les lèvres
De sa p'tite amie
Donnez-moi qu'il dit
Du rouge en étui
J'en veux trente kilos
Car c'est une négresse à plateaux. ».

You tube, puisque c'est ma source, en a court-circuité les commentaires. Tu m’étonnes...!

Le Bouddha de Jade : A travers les paroles de cette chanson, qui était La chanson officielle de cette Exposition, et aussi d'après le comportement des visiteurs du zoo ou même des autres parisiens, il apparait clairement qu'il y avait un ordre établi, ancré dans l'éducation collective. Les indigènes étaient quasiment au même rang que tous ces animaux sauvages que la France importait de ses colonies, afin de distraire sa population. Il était donc normal de les exposer, de leur demander de faire des " tours", ou de les échanger comme des animaux de cirque. Les gens du peuple ne les traitaient pas forcément avec méchanceté, mais le plus souvent avec curiosité et cette sorte d'intérêt que l'on accorde aux choses qui sortent de l'ordinaire.

La Convergence des Parallèles : Certaines unes de journaux titraient « Le zoo humain » et dénonçaient (en vain) l’intolérable. Une minorité clairvoyante osait, la majorité portait des œillères. Le scandale concernait un échantillonnage kanak relégué au zoo de Vincennes entre lions et crocodiles avec l’indication erronée et volontairement entretenue : «cannibales et polygames». La Direction obligeait, à l’encontre de toutes traditions, les seins nus chez les femmes en début d’hiver parisien, le pili-pili à heures fixes, les grognements inarticulés de sauvages ou de barbares imaginaires. On encourageait les jets de cacahuètes. Des hommes-jouets manufacturés par l’Homme Blanc, domestiqués et corvéables, des caricatures de vie, des injures au droit à la différence. Des hommes que l'on flatte, à qui l'on ment, à qui on promet sans tenir. Quelle honte, vraiment, pour notre société dite civilisée, autosatisfaite, imbue de qualités qui ne sont que défauts, si orgueilleuse, si malade d’elle-même ! Une simple anecdote de l’Histoire ? A mon sens, surement pas. Dans sa simplicité elle symbolise à merveille le colonialisme qui, en poussant le trait encore plus loin, a envoyé quinze ans plus tôt, baïonnettes au dos, des milliers de noirs à la mort dans les tranchées. Daenincks ne s’y trompe pas, il sait qu’à lui seul, en relatant simplement les faits, en romançant à peine, ce petit bout d’Histoire fera mouche et rendra enfin justice. 100 pages d’une écriture simple et directe suffisent. La force de frappe induite est totale à l’image d’un uppercut, elle impose la parution hors recueil sans nouvelles associées pour faire riche. Le bouquin n’est guère épais, se lit en quelques heures mais ne s’oublie pas. Jamais.

Le Bouddha de Jade : Je pense que l’Histoire se répète, mais elle prend des formes différentes au fil du temps.  Les amérindiens sont encore aujourd'hui en partie dans des réserves, et vivent pauvrement. Idem pour le peuple aborigène d’Australie, relégué dans les ghettos, et en Afrique du Sud, même schéma.  Il me semble avoir vu dans certaines émissions que les territoires d’Outre-mer n’avaient pas tout à fait la même qualité de service public qu’en métropole.  L’égalité du genre humain est un combat perpétuel. 

La Convergence des Parallèles : La lecture de « Cannibale » me fut enrichissante (j'ignorais tout de cette histoire étonnante, à première vue peu crédible mais qui pourtant ... fut une triste réalité héxagonale), agréable (le style de Daeninckx est aisé, rapide, direct). La chronique à deux m’est apparue une expérience que, pour ma part, je renouvèlerai avec plaisir. Merci à toi, chère complice.

Le Bouddha de Jade : J'ai aussi trouvé cette nouvelle intéressante et enrichissante. Et cet échange pour aboutir à une chronique commune aussi, d'autant plus que c'est une première pour moi !

A renouveler, donc :-) 

Merci à toi aussi ! 


 


 

7 commentaires:

  1. En faisant une demande d'images à Mr Google, on obtient un nombre conséquent d'éléments en rapport avec les kanak à Paris en 1931.

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  2. Chroniques novatrices. Bravo à vous! Sans être un dialogue, vos deux avis se complètent à merveille. Mais ce roman a-t-il une histoire où relate-t-il juste cette exposition?

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    1. Cette nouvelle raconte, de manière romancée, un fait s'étant réellement produit à l'occasion de cette Exposition!

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    2. La prochaine fois nous ne serons peut-être pas d'accord. Les ressentis seront peut-être antagonistes. Là, difficile de ne pas être offusqués à l'unisson.

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  3. La convergence des31 août 2023 à 15:02

    Depuis quelques temps j'ai en ma possession la bande-dessinée qui va avec le roman de Didier Daeninckx.
    https://m.media-amazon.com/images/I/5154DKNxdQL.jpg
    Mais je ne l'ai pas encore lue, juste feuilletée.
    Chronique à suivre (ou pas, tout dépendra de la qualité embarquée ... mais j'ai espoir)

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