Biographie de Flush, petit cocker doré, aux côtés de sa maîtresse, Miss Barrett.
C'est un court volume de 136 pages au cours duquel le lecteur est invité dans la vie de Flush, de la grisaille Londonienne au soleil Florentin.
Je trouve que c'est un bel exercice littéraire de se pencher sur le point de vue d'un chien, surtout si l'on considère l'époque à laquelle a vécu Virginia Woolf ( 1882 - 1941). Imaginer son interprétation des évènements qui l'entourent et formuler ses ressentis dans une logique canine.
Ses raisonnements sont forcément quelque peu "humanisés" pour les besoins de l'histoire, mais le tout garde une candeur et une spontanéité attendrissantes.
La vie de Flush se déroulant dans les années 1842 à 1854, le récit s'enrichit donc du contexte sociétal de l'époque, en Angleterre et en Italie.
Ce fut une lecture rapide que j'ai trouvée bien distrayante et pleine de tendresse. A lire entre deux pavés!
Une histoire de femmes dans l'Amérique des années 50.
Des destins de femmes où les hommes ont peu de place sinon pour le tragique.
La famille Chapel compte six enfants, toutes des filles aux doux noms de fleurs.
Le père, Henri, est le digne descendant et Président de la Chapel Firearms. Constructeur d'armes à feu du même nom, tristement célèbre dans toutes les guerres et tous les massacres depuis la conquête de l'Ouest.
La mère, Belinda, énigmatique et tourmentée, est considérée comme folle par son entourage. Incomprise et isolée. Seule Iris, son avant dernière fille de treize ans croira en elle.
Iris, la narratrice, m'a embarquée au fil des pages à travers la vie et la fin des membres de cette famille américaine, à une époque où les femmes n'avaient que le mariage comme horizon. Une époque où la marginalité menait bien souvent à l'internement psychiatrique.
L'ambiance particulière de ce roman, la mystérieuse malédiction qui semble planer sur les membres féminins de cette lignée, l'omniprésence des fleurs, des couleurs, des odeurs, le dessin, la poésie et l'écriture... tout cela m'a accompagnée agréablement durant cet été.
Un roman de presque 600 pages aux éditions Totem que j'ai été heureuse de découvrir.
L’histoire se passe en 1984, en été, dans une banale petite
ville de l’Ohio, aux USA.
Le narrateur, Fielding, un garçon de 13 ans au moment des
faits, nous en dresse un charmant portrait, comme tout natif aime parler du
lieu qu’il a toujours connu, dans lequel il a grandi et tissé des liens.
Fielding y vit avec sa famille dans une jolie petite maison.
Son père, Autopsy Bliss est le procureur de cette ville. Homme singulier,
toujours tiré à quatre épingles, a un esprit torturé par la justesse de son
métier et le fragile équilibre entre le Bien et le Mal.
Sa mère Stella, riche héritière d’une usine de chaussures,
vit recluse dans sa demeure, sans jamais mettre un pied à l’air libre.
Et puis il y a Grand, le grand frère beau, sportif et admiré
de tous.
La torpeur de cette petite ville à la routine bien installée
va basculer avec la visite du Diable en personne, et avec lui une chape de
chaleur épouvantable.
C’est un récit sur la perte.
La perte des êtres chers, ceux qui ont laissé une empreinte
durable dans nos vies, bonne ou mauvaise. Mais parfois les deux, comme les
faces d’une même pièce.
La perte de la foi, de son innocence, de ses rêves.
La perte de tout ce qui donne un sens à la vie mais la
nécessité de continuer malgré tout, de poursuivre son chemin comme une éternité
sans fin. Un condamné à perpétuité dans la solitude, avec pour seule compagnie
ses souvenirs, ses regrets.
C’est aussi un récit sur l’ambivalence de la nature humaine.
On recherche le Mal chez les autres, à l’extérieur de nous,
comme un fautif tout désigné à nos dérives. Alors qu’il se révèle depuis notre
puits profond, celui que l’on ne connait pas, jusqu’à ce qu’un évènement
traumatisant le fasse surgir comme un diable de sa boite.
Être et paraitre. Ce que l’on est vraiment, ce que l’on
aimerait être, ce que les autres aimeraient que l’on soit. La société toute
entière projette ses désirs et ses dictats sur chacun d’entre nous.
Tiffany McDaniel a une écriture douce et délicate. Le tragique
est présenté sans surenchère dans le drame. Il n’y a pas de volonté de heurter
le lecteur. Mais cette lecture m’a tout de même profondément marquée. Elle a
raisonné en moi et m’a émue, parfois jusqu’aux larmes.
Je considère ce roman comme mon coup de cœur de cette année.
Autant le dire tout de suite, la couverture du livre n’a
rien à voir avec le contenu du récit.
Ce roman, paru initialement en 1982 et en 1984 dans sa
version française, est assez court, puisqu’il ne compte que 250 pages en format
poche. C’est de la science-fiction qui semble assez vieillotte au départ, dans
le style et l’ambiance, mais qui a tout de même accroché mon attention dès les
premières pages.
Le personnage principal, un Professeur d’université, Edward
Lansing, se retrouve propulsé malgré lui dans un monde inconnu, aux côtés d’autres
personnages venus d’ailleurs. Tout ce petit monde ignore comment et pourquoi il
a été arraché à sa planète d’origine et à son temps pour se retrouver dans ce
lieu insolite. Quel est le but de tout ceci ? Est-il seulement possible
de faire le voyage de retour ?
Lansing et ses compagnons d’infortune sont aussi différents
les uns des autres que peut l’être le panel de l’humanité, tant dans leurs
personnalités, leurs métiers, leurs sensibilités ou leur manière d’aborder l’énigme
qui se présente à eux à travers ce voyage spatio-temporel. Chacun va d’ailleurs
réagir différemment aux embûches de cette planète. Certains y laisseront la
vie.
Je n’ai pas pu deviner la finalité de cette histoire jusqu’aux
dernières pages.
Étant donné le contexte de ce périple, il est aisé de céder
à la panique, au désespoir, de se laisser absorber par le néant… Mais Simak, en
grand humaniste, laisse tout de même une porte de sortie à l’être humain, pour
peu qu’il se donne les moyens de donner le meilleur de lui-même, d’utiliser son
intelligence et sa morale dans un but noble.
J’ai passé un bon moment de lecture, hors du temps, et à l’image
des personnages du roman, je me suis sentie désorientée, la tête pleine d’interrogations,
essayant de comprendre ou deviner la suite des évènements.
Je me dis que finalement, même si les épreuves de cette
planète semblent extrêmes et déstabilisantes, la question du but de nos
existences se pose. Nos existences au sens individuel mais aussi et surtout
global.
Le schéma d’évolution de l’humanité est-il viable ?
L’Épidémie est un roman suédois paru initialement en 2016, avant d'être traduit en français.
C'est, parait-il, une dystopie. Ça l'était certainement à l'époque mais après avoir vécu l'épisode du Covid, on peut se dire que la situation dramatique décrite dans ce roman et la réalité ne sont pas si éloignées que cela.
Que dis-je? Ce qui se passe en ce moment même en Chine nous démontre que le quotidien d'une partie du peuple chinois est une dystopie bien réelle!
L'ingrédient phare de ce récit est l'obésité ( ça aurait pu être un virus à très faible létalité).
Le premier ministre suédois, Johan Svärd, un homme charismatique au regard envoûtant, a crée Le Parti de la Santé.
Son cheval de bataille est d'éradiquer l'obésité dans son pays. Vivre mince c'est vivre en bonne santé et ça évite des dépenses inutiles à la société.
La propagande officielle a réussi à embarquer toute la population dans cette guerre folle contre le surpoids, à discriminer et à susciter le dégoût envers toutes les personnes qui n'entrent pas dans les normes de maigreur.
Tout un tas de mesures ont été mises en place graduellement pendant des années. Chaque acceptation de la part de la population, ou chaque absence de réaction ouvrait la voie à une nouvelle mesure encore plus drastique que la précédente, jusqu'à l'horreur.
Dans tout ce magma en putréfaction, quelques âmes éveillées ont refusé de se soumettre et ont entrepris de lutter pour leur liberté.
J'ai été happée par cette histoire dès les premières pages. Ce récit est non seulement dramatiquement passionnant, mais j'ai aussi trouvé que les procédés mis en place pour contrôler toute une population étaient quasiment en tous points identiques à ce qui s'est passé pendant la "crise du Covid".
Même recette avec simplement des ingrédients différents.
On peut donc en conclure que les méthodes du contrôle mental et de manipulation des masses sont connues et appliquées par les gouvernants.
Par conséquent, il serait bien illusoire de leur confier la gestion de nos vies et nos libertés en croyant qu'ils agissent toujours pour notre bien, tels des parents bienveillants face à une progéniture dépendante.
Le déni d'une grande partie de la population face à la malveillance des gouvernants vient justement qu'il est difficilement acceptable, psychologiquement, que des personnes démocratiquement élues, dans un pays libre, puissent agir contre le peuple.
Ces personnes n'ont-elles pas été placées au pouvoir, rênes en mains, afin que le peuple puisse rester tranquillement dans sa léthargie, travaillant et consommant? Il est tellement plus simple et commode de suivre les règles sans se poser de questions.... Car réfléchir et garder un esprit critique c'est voir ce qui nous menace et nous nuit. Cela sous-entend donc une obligation d'agir, de s'engager et de lutter. Cela veut surtout dire se marginaliser, nager à contre-courant, prendre des risques, perdre des privilèges, être sanctionné et ne plus pouvoir se noyer dans un confort débilitant.
Bonne lecture.
Voici le résumé du l'éditeur:
Le politicien Johan Svärd a pris le pouvoir grâce à une victoire
électorale historique. Sa promesse de campagne : éradiquer l'obésité. Le
jeune chercheur Landon Thomson-Jaeger voit alors sa copine tomber petit
à petit dans l'anorexie, et les églises se transformer une à une en
centres de santé. C'est en essayant d'échapper à la propagande qu'il
rencontre Helena, qui vient de perdre son emploi car les infirmières
ayant de l'embonpoint ont, selon le Parti, une influence néfaste sur les
patients. Le Parti de la Santé est prêt à tout pour faire
disparaître l'obésité. D'ailleurs, où sont passés les obèses ? Quand
Helena disparaît à son tour, Landon part à sa recherche et fait sur son
chemin des découvertes qui font froid dans le dos... que se passe-t-il
dans les "camps pour obèses" du Parti, et jusqu'où iront les contrôles ?
Le climat social est rude et la menace pèse...
Les soldats de la mer est un recueil de 17 nouvelles
fantastiques, initialement paru en 1968.
Les nouvelles sont à lire dans l’ordre, car il y a une ligne
chronologique à suivre, et une évolution progressive de ce drôle d’univers
guerrier. On pourrait presque considérer cette œuvre comme un roman, même si
chaque nouvelle, ou chaque chapitre se concentre sur un nouveau personnage.
L’univers créé par les auteurs est similaire au nôtre, à
ceci près qu’il possède deux lunes.
Les récits se déroulent dans une ambiance brumeuse, froide,
incertaine. Les Nations ont des noms différents, mais rappellent notre monde
occidental et ses velléités dominatrices vis-à-vis des autres pays.
Le style de l’écriture est en adéquation avec l’époque dans
laquelle se situe ce monde fantastique, que je placerais au 19ième
siècle.
Le monde militaire ne m’attire pas spécialement. Ses
soldats, ses bataillons, ses guerres et ses stratégies expansionnistes. J’ai
donc eu un peu de mal à accrocher au thème, même si le titre ne laisse pas d’ambiguïté
sur son contenu ! Bref, au-delà du monde militaire, la manière d’entrer
dans chaque nouvelle m’a un peu déconcertée, dans le sens où je me suis sentie
perdue dans cet amas de noms inconnus et cette immersion soudaine dans chaque
nouveau récit, sans chercher à dessiner les contours du pourquoi et du comment.
Ce malaise de lecture est passé lorsque j’ai compris qu’il me suffisait de
simplement me laisser porter par l’histoire, sans chercher à maitriser tous les
personnages présents et à me concentrer sur le seul héros du moment. Les choses
devenaient alors claires au fur et à mesure que se déroulait l’intrigue, jusqu’au
dénouement fantastique final.
Cette touche fantastique concerne des thèmes assez
classiques, comme les revenants, les vampires, les mondes parallèles.. etc
A noter que la toute dernière nouvelle, « Fondation »,
ne doit absolument pas être lue avant la fin, car elle explique l’existence de
ce Monde !
J’ai donc passé un bon moment de lecture et une évasion imaginaire
bienvenue dans un quotidien plutôt morose.
Voilà un roman noir d'un peu plus de 300 pages qui se lit vite et bien, ou presque.
J'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire, mais une fois que les contours de l'intrigue se sont dessinés, je n'ai plus voulu lâcher le livre!
Brown, Brownie pour les intimes, est ce Nothing Man ou Monsieur zéro, selon les versions.
Pourquoi donc ce pauvre homme est-il désigné de la sorte?
Assez rapidement on comprend pourquoi, et ce Brownie ne peut alors qu'inspirer de la pitié. On lui pardonnerait presque ses agissements.
Autour de lui gravite des personnages assez stéréotypés, comme dans un mauvais film : des femmes, le chef de la police, ses collègues, son supérieur hiérarchique ainsi que le grand patron du journal dans lequel il travaille.
Il y a également, au fil des pages, une sorte de dialogue intérieur entre Brownie et lui-même, ou plutôt entre l'image qu'il renvoie et son for intérieur, comme s'il y avait un dédoublement de personnalité en lui.
A la toute fin, quasiment à la dernière page, on découvre pourquoi cet homme est doublement un nothing man...
Je ne connaissais pas cet auteur et il me faudrait d'autres lectures pour me faire une idée de son style. Mais en ce qui concerne ce roman, j'ai trouvé que la narration était quelque peu décousue. La faute au renvoi permanent entre les faits tels qu'ils se déroulent réellement et la manière dont notre cher Brownie les appréhende. Une fois qu'on a compris ça, il n'y a plus qu'à se laisser porter jusqu'au dénouement!
Roméo et Juliette, la fameuse pièce de théâtre, mondialement connue.
Mais pas par moi! Je me suis donc dis qu'il serait plus que temps de m'y pencher... mieux vaut tard que jamais.
Je n'aime pas tellement lire du théâtre, mais m'y contrains de temps en temps, afin d'alimenter ma culture générale.
En commençant la lecture de cette pièce, je l'ai trouvée particulièrement niaise. Toute cette guimauve dégoulinante d'amour m'a fait lever les yeux au ciel. Que de belles phrases, que de grands discours et de sentiments surjoués et largement exagérés, pour ne pas dire peu crédibles.
Et puis j'ai réalisé que je lisais une pièce de théâtre, donc le déroulement du scénario est forcément différent que dans un roman. Il faut que ce soit court, intense, percutant. En un mot : théâtralisé.
Au fil des scènes, mon intérêt a toutefois été éveillé. J'ai senti venir les embrouilles, les conflits, les drames. (Oui je sais, ça en dit long sur mon esprit pervers ).
Je savais bien sûr que ça se finirait mal, mais j'ignorais comment et pourquoi. Maintenant, je sais!
Je pense que cette pièce a dû faire son petit effet à son époque, dans sa langue d'origine. Il y a en effet quelques allusions à des évènements ou des expressions de jadis, mais qui n'évoquent évidemment rien pour un lecteur moderne, qui plus est francophone.
Il ne me reste plus qu'à lire les autres œuvres de ce bon vieux Shakespeare. Elles m'attendent sagement sur mes étagères en attendant le bon moment.
Jaya est une américaine moderne, d'origine indienne. Du pays natal de ses parents, elle ne connait rien.
Elle va pourtant s'y rendre, seule, suite au décès de son grand-père maternel.
Jaya vit un drame personnel qui a complètement ébranlé le cheminement planifié de sa vie. Incapable de donner la vie et au bord de la rupture avec Patrick, son mari, elle décide de fuir et de partir à la rencontre de l'histoire de cette famille dont elle ignore tout et qu'un secret semble ensevelir.
La partie indienne du roman tourne autour de l'histoire d'Amisha, la grand-mère maternelle de Jaya.
Amisha, la passeuse d'histoires...
A travers sa vie, l'auteure nous entraine dans l'Inde des années vingt à trente, sous l'occupation britannique.
Le destin et les choix de cette femme exceptionnelle, racontés à Jaya par Ravi, le vieux serviteur et ami d'Amisha, mettent en lumière et expliquent certains aspects et comportements de Lena, la mère de Jaya, et ouvrent les yeux de cette dernière sur sa propre vie.
Traditions, codes sociaux, ordre établi... autant de freins à l'épanouissement personnel et à la liberté individuelle.
Les coutumes donnent pourtant une identité au groupe, au pays et constituent une richesse et ce qui différencie chaque nationalité.
Pour autant, n'est-il pas nécessaire de les abolir lorsqu'elles sont injustes? Lorsqu'elles provoquent de la souffrance?
Ne faut-il pas faire preuve de souplesse et d'adaptation lorsque le destin s'insurge et demande plus que ce dont il a droit?
La Passeuse d'histoires et un beau roman, dépaysant, forcément, mais qui au delà de ça pousse à la réflexion et invite chacun d'entre nous à la bonté, au courage de prendre les bonnes décisions, à bousculer l'ordre établi si on estime que c'est nécessaire et surtout à ne pas perpétuer l'inacceptable.
Il faut également mentionner le côté historique du roman. En effet, cette période se déroule dans un climat d'affrontements entre les "indigènes", comme les appelaient à l'époque les colons britanniques, et cette présence étrangère, de plus en plus contestée, sous l'impulsion de Gandhi.
Le parallèle entre l'Amérique du Nord et l'Inde, et entre la période actuelle et celles des années 20-30 incite aussi à relativiser et modérer nos appétits matérialistes.
Le bonheur ne se limite pas forcément à des possessions.
La chaleur humaine, l'amitié, la générosité, la compréhension, le dialogue, la vraie présence, le regard sincère, sont autant d'éléments indispensables à une vie plus douce.
L'auteur met en scène quelques personnages dont nous suivons l'évolution au fil de trois actes.
Ces personnages sont représentatifs de notre société, de part leur caractère, leurs idées ou leur position sociale.
Dans le premier acte, l'auteur provoque une situation inhabituelle que nous pourrions qualifier de fantastique, ou fantasque, illogique, à savoir : l'apparition d'un rhinocéros en pleine ville. Ou peut-être même deux rhinocéros. Avait-il une corne ou deux cornes? Impossible de s'entendre là-dessus.
Cet évènement isolé suscite la surprise générale et alimente les conversations.
Que fait ce rhinocéros dans les rues? D'où vient-il? Que cherche t-il à courir ainsi en tous sens, et écrasant tout sur son passage? C'est un fou dangereux!
Les conversations vont bon train, mais au final la vie continue et l'apparition de cet animal n'est qu'un évènement anecdotique.
Dans l'acte 2, ce qui était anecdotique devient plus présent, prend de l'ampleur et perturbe la vie quotidienne et impact la bonne marche du travail au bureau.
Petit à petit, l'orientation des conversations change. La bestialité et la stupidité des rhinocéros sont modérées, son comportement est moins critiqué. On lui témoigne même de l'indulgence.
Certains adhèrent à ce nouveau mode de vie et choisissent de " muter" afin de rejoindre ce troupeau fou arpentant les rues.
Dans le dernier acte, toute la société bascule dans cette folie collective. Pourquoi?
Pourquoi pas! Puisque tout le monde change de point de vue, même le patron, l'intellectuel et le rationnel. Cela ne doit pas être si mal finalement, d'être un rhinocéros.
Ces animaux sont si beaux et forts...
A quoi bon rester seul contre tous?
Un seul personnage échappe à cette mutation. Il s'accroche à son humanité et à sa singularité, même s'il flanche à un moment, désespéré de se retrouver absolument seul et faible, face à toute une société de rhinocéros tournant en rond, sans but.
Mais la mutation n'opère pas alors notre héros décide de continuer à résister, à se battre pour le restant de sa vie, même s'il doit être le dernier Homme sur Terre.
Cette œuvre illustre bien ce qui est désigné en psychologie ou en sociologie par le terme de " Preuve sociale". Ou comment les gens sont influencés par ce que fait ou pense la majorité, même si cette majorité pense mal et agit mal.
Comment toute une société peut se mettre en mouvement et basculer dans une folie illogique, une machinerie puissante qui embarque dans son sillage même les esprits les plus logiques et les plus attachés aux valeurs humaines.
Ceux qui ne suivent pas ce phénomène majoritaire deviennent alors des marginaux, des individus seuls qui avancent à contre-sens, condamnés à une lutte incessante.
Seuls mais néanmoins toujours fidèles à leurs valeurs, à leur humanité.
Pas de suspens de ce côté-là, on sait que notre héroïne
finit dans une benne à ordures, dans une ruelle sordide d’Istanbul.
Sauf que le lecteur se retrouve d’emblée aux côtés de l’esprit
de Leila, notre héroïne morte. On comprend
alors que le titre représente le laps de temps entre la mort biologique et l’extinction
définitive de l’esprit qui occupait jusqu’alors les lieux. L’extinction ou sa
libération vers d’autres cieux, une autre dimension ou même le néant, selon les
croyances de chacun.
Minute après minute, chapitre après chapitre, Leila se
remémore des instants de sa vie, depuis sa naissance jusqu’au tournant tragique
de son destin. On découvre alors ce que fut le début de sa vie dans un petit
village d’Anatolie (la partie asiatique de la Turquie), sa famille, ses
secrets, ses tourments, ses mensonges, le poids de la religion et le
déshonneur.
La Leila adulte est une prostituée, une citoyenne de seconde
zone, une indésirable pour sa famille et la société bien comme il faut. Son esprit
nous raconte au fil des chapitres comment elle en est arrivée là. Comment et
pourquoi elle a quitté sa famille et un avenir tout tracé, comment elle a atterri
dans la rue des bordels à Istanbul ? Qui sont ces cinq amis qui tiennent
tant à elle, quelle a été leur histoire à eux ? D’où viennent-ils et
pourquoi sont-ils aussi des indésirables ?
A travers ces six personnages, on part à la rencontre de
vies, de lieux, de tragédies différentes.
Comme à son habitude, Elif Shafak fait preuve de beaucoup de
douceur dans sa narration, autour de thèmes pas franchement mielleux. Profondément
humaniste, elle contrebalance tous les travers de la société turque par des
valeurs réconfortantes. La noirceur peut être repoussée par la lumière et l’espérance.
Le poids des traditions et de la religion, la rigidité, l’intolérance,
la répression, le jugement, les lois, le rejet, la misère, la souffrance... tout cela est jugulé par la force et la
chaleur de l’amitié et l’amour. Un îlot de réconfort dans une tempête en furie.
Toutes ces vies ballottées ont remué mes émotions. Le samsara
de l’existence est comme un fleuve déchainé qui emporte tout sur son passage,
rendant chaque minute, chaque seconde comme un rêve éphémère et déjà oublié. L’être
humain s’échine à se pourrir la vie et celle de ses congénères en inventant
tout un tas de règles morales aussi rigides que destructrices, des principes
ridicules qui ont pourtant le pouvoir de briser des vies. Il suffirait pourtant
de distiller dans ce monde un peu plus de souplesse, de tolérance et de
bienveillance. Cette bienveillance existe déjà, certes, par petites touches, et
c’est ce qui rend la vie de certains plus tolérable, mais ce n’est pas assez.
Ce roman m'a émue jusqu’aux larmes, surtout les derniers chapitres, que j'ai trouvés poignants. J'ai ressenti une immense tristesse et un fort sentiment de gâchis face à tant de souffrance et d'injustice.
Elif Shafak signe ici un roman en faveur du droit des
femmes, toutes en général, et les prostituées en particulier, dans un pays (la
Turquie) où tant reste encore à faire. (Et pas que la Turquie d’ailleurs).
Deux blogs (Le Bouddha de Jade & La Convergence des Parallèles)
s’associent le temps d’une chronique commune, autour d’un même roman.
Le Bouddha
de Jade :Cannibale est une nouvelle de moins de 100 pages, dans laquelle l’auteur relate un
fait s’étant produit durant l’Exposition Coloniale de 1931, à Paris. Je ne
commenterai pas le fait en lui-même, mais tout ce qui entoure le principe de
cette exposition. Je ne savais pas qu’un tel évènement avait eu lieu dans les
années 30, mais ne m’en étonne pas. C’était une autre époque, celle des
colonies, des grandes puissances, des territoires exotiques lointains au parfum
de sauvagerie.
La
Convergence des Parallèles : L’évènement avait une chanson-phare
interprétée par Alibert. Son titre: "Nenufar". Didier Daeninckx
n’en offre, hélas, qu’un petit bout de rien dans le roman. Je suis curieux,
j’ai creusé plus avant et j'ai trouvé via le Web. Voici les paroles dans leur
presque exhaustivité ; elles étaient, hélas, dans l’air du temps. Tu vas
comprendre vite que, de nos jours, elles seraient, à juste titre censurées.
« Quittant
son pays
Un
p'tit négro
Vint
jusqu'à Paris
Voir
l'exposition coloniale
C'était
Nénufar
Un
joyeux lascar
Pour
être élégant
C'est
aux pieds qu'il mettait ses gants.
Nénufar
T'as du r'tard
Mais
t'es un p'tit rigolard
T'es
nu comme un ver
Tu
as le nez en l'air
Et
les ch'veux en paille de fer
…
[ ] …
Faut
pas croire toujours
Tout
c'que Nénufar raconte
Ainsi
l'autre jour
Il
m'a dit
Quand
je fais mes comptes
A
la craie j'écris
Sur
l'dos d'ma chérie
Et
d'un coup d'torchon
Après
j'efface les additions.
…
[ ] …
Un
jour Nénufar
Entra
dans une grande parfumerie
Il
voulait des fards pour les lèvres
De
sa p'tite amie
Donnez-moi
qu'il dit
Du
rouge en étui
J'en
veux trente kilos
Car
c'est une négresse à plateaux. ».
You tube, puisque c'est ma source, en a court-circuité les commentaires. Tu
m’étonnes...!
Le Bouddha
de Jade :A travers les paroles de cette chanson, qui était La
chanson officielle de cette Exposition, et aussi d'après le comportement des
visiteurs du zoo ou même des autres parisiens, il apparait clairement qu'il y
avait un ordre établi, ancré dans l'éducation collective. Les indigènes étaient
quasiment au même rang que tous ces animaux sauvages que la France importait de
ses colonies, afin de distraire sa population. Il était donc normal de les
exposer, de leur demander de faire des " tours", ou de les échanger
comme des animaux de cirque. Les gens du peuple ne les traitaient pas forcément
avec méchanceté, mais le plus souvent avec curiosité et cette sorte d'intérêt
que l'on accorde aux choses qui sortent de l'ordinaire.
La Convergence des Parallèles : Certaines
unes de journaux titraient « Le zoo humain » et dénonçaient
(en vain) l’intolérable. Une minorité clairvoyante osait, la majorité portait
des œillères. Le scandale concernait un échantillonnage kanak relégué au zoo de
Vincennes entre lions et crocodiles avec l’indication erronée et volontairement
entretenue : «cannibales et polygames». La Direction
obligeait, à l’encontre de toutes traditions, les seins nus chez les femmes en
début d’hiver parisien, le pili-pili à heures fixes, les grognements
inarticulés de sauvages ou de barbares imaginaires. On encourageait les jets de
cacahuètes. Des hommes-jouets manufacturés par l’Homme Blanc, domestiqués et
corvéables, des caricatures de vie, des injures au droit à la différence. Des
hommes que l'on flatte, à qui l'on ment, à qui on promet sans tenir. Quelle
honte, vraiment, pour notre société dite civilisée, autosatisfaite, imbue de
qualités qui ne sont que défauts, si orgueilleuse, si malade d’elle-même !
Une simple anecdote de l’Histoire ? A mon sens, surement pas. Dans sa
simplicité elle symbolise à merveille le colonialisme qui, en poussant le trait
encore plus loin, a envoyé quinze ans plus tôt, baïonnettes au dos, des
milliers de noirs à la mort dans les tranchées. Daenincks ne s’y trompe
pas, il sait qu’à lui seul, en relatant simplement les faits, en romançant à
peine, ce petit bout d’Histoire fera mouche et rendra enfin justice. 100 pages
d’une écriture simple et directe suffisent. La force de frappe induite est
totale à l’image d’un uppercut, elle impose la parution hors recueil sans
nouvelles associées pour faire riche. Le bouquin n’est guère épais, se lit en
quelques heures mais ne s’oublie pas. Jamais.
Le Bouddha de
Jade :Je pense que l’Histoire se répète, mais elle prend des formes différentes
au fil du temps. Les amérindiens sont encore aujourd'hui en partie dans
des réserves, et vivent pauvrement. Idem pour le peuple aborigène d’Australie,
relégué dans les ghettos, et en Afrique du Sud, même schéma. Il me semble
avoir vu dans certaines émissions que les territoires d’Outre-mer n’avaient pas
tout à fait la même qualité de service public qu’en métropole. L’égalité du genre
humain est un combat perpétuel.
La Convergence des Parallèles :
La lecture de « Cannibale » me fut enrichissante (j'ignorais
tout de cette histoire étonnante, à première vue peu crédible mais qui pourtant
... fut une triste réalité héxagonale), agréable (le style de Daeninckx
est aisé, rapide, direct). La chronique à deux m’est apparue une expérience
que, pour ma part, je renouvèlerai avec plaisir. Merci à toi, chère complice.
Le Bouddha de Jade :J'ai aussi trouvé cette nouvelle intéressante et
enrichissante. Et cet échange pour aboutir à une chronique commune aussi,
d'autant plus que c'est une première pour moi !