dimanche 27 mars 2016

L'empire de la honte, Jean Ziegler





L'auteur suisse met ici en lumière des vérités qu'il est bon de connaitre..
Quelles sont les forces qui gouvernent notre monde? Comment agissent-elles? Y a-t-il, pour les pays les plus pauvres, un moyen d'y échapper?

On pense savoir certaines choses, avec plus ou moins de clarté, mais il est très utile quelques fois de s'y pencher de plus près, d'approfondir ses connaissances, d'ouvrir l’œil...

J'ai choisi de copier une partie du chapitre sur la dette, parce que je l'ai trouvée très " parlante". Elle montre bien ce qui se joue sur l'échiquier mondial:



Le Rwanda: Dette odieuse 



D’avril à juin 1994, sur les collines du Rwanda, les soldats de l’armée régulière et des miliciens interhamwe (en banyarwanda, Interhamwe veut dire «  ceux qui tuent ensemble ») assassinèrent systématiquement les enfants, femmes et hommes de l’ethnie tutsi, ainsi que des milliers de Hutus opposés au régime.

A cette époque, les Nations unies maintenaient au Rwanda un contingent de Casques bleus de plus de 1300 hommes retranché dans des camps militaires protégés par des barbelés, ici et là à travers le pays.

A l’heure des massacres, des dizaines de milliers de Tutsis implorèrent l’aide des Casques bleus, demandant à pouvoir se réfugier dans les camps sécurisés. Mais les officiers onusiens refusèrent avec constance. Les ordres venaient de New York, du Conseil de sécurité, par l’intermédiaire du sous-secrétaire général au maintien de la paix, Kofi Annan.

Alors que le génocide avait commencé, la résolution n° 912 du 21 avril 1994 du Conseil de sécurité réduisit même de moitié le nombre des soldats au Rwanda.

Entre 800 000 et 1 million de femmes, de nourrissons, d’enfants, d’adolescents et d’hommes tutsis (et hutus au sud) furent ainsi massacrés en cent jours. Sous l’œil impassible des Casques bleus des Nations unies.

De 1990 à 1994, les principaux fournisseurs d’armes et de crédits au Rwanda avaient été la France, l’Egypte, l’Afrique du Sud, la Belgique et la République populaire de Chine. Les livraisons d’armes égyptiennes étaient garanties par le Crédit Lyonnais. L’aide financière directe venait surtout de France.  De 1993 à 1994, la République populaire de Chine avait fourni 500 000 machettes au régime de Kigali. Des caisses pleines de machettes, payées sur crédit français, arrivaient encore par camions, venant de Kampala et du port de Mombassa, alors que le génocide avait déjà commencé…

Les génocidaires furent finalement défaits par l’avancée de l’armée du Front patriotique rwandais, constitué par de jeunes Tutsis issus de la diaspora ougandaise. Kigali fut prise en juillet 1994. La France, pourtant, continua à livrer des armes, par Goma et le Nord-Kivu, aux derniers génocidaires réfugiés sur la rive orientale du lac Kivu.

La France de François Mitterrand a joué, au Rwanda, un rôle particulièrement néfaste. Des officiers français ont soutenu et, le jour de la défaite venu, exfiltré les génocidaires et leurs commanditaires politiques.

Les analystes qui font autorité l’expliquent ainsi. La dictature hutu du président Habyarimana était un régime francophone ; le Front national rwandais, qui le combattait, était constitué majoritairement par des fils et des filles de réfugiés tutsis, nés en Ouganda, et donc anglophones.  C’est au nom de la défense de la francophonie que François Mitterrand accorda un soutien sans faille aux tueurs génocidaires. En outre, des liens d’amitié attachaient le président français à la famille du défunt dictateur hutu rwandais, Juvénal Habyarimana.

Le nouveau gouvernement a hérité d’une dette extérieure d’un peu plus d’un milliard de dollars. Arrivant au pouvoir dans un pays complètement dévasté et considérant qu’ils n’avaient aucune obligation morale à rembourser des crédits qui avaient servi à financer l’achat des machettes avec lesquelles on avait découpé leurs mères, frères et enfants, les nouveaux gouvernants demandèrent aux créanciers de suspendre, voire d’annuler, le remboursement. Mais, conduit par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, le cartel des créanciers refusa finalement tout arrangement, menaçant de bloquer des crédits de coopération et d’isoler financièrement le Rwanda dans le monde.

C’est ainsi que les paysans rwandais, pauvres comme  Job, et les rares rescapés du génocide s’échinent aujourd’hui encore à rembourser, mois après mois, aux puissances étrangères les sommes qui ont servi aux massacres.






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