lundi 15 février 2021

Et pourtant, elle tourne, de Maïté Laplume

 

 

« Et pourtant, elle tourne » est un récit en partie autobiographique. Court, mais puissant, bouleversant, plein de vie, de force et de courage.

Le personnage principal est une jeune fille, Latzari Luma. Fille ainée d’une fratrie de quatre, son père est chef d’escale chez Air France et sa mère, d’origine espagnole, est professeure de yoga.

Le travail de Bernard, le père, oblige cette petite famille à déménager tous les trois ans, les entrainant aux quatre coins du monde. Pas d’attaches, pas le temps de s’enraciner quelque part, et la nécessité de s’adapter très vite, quitter sans regrets, se laisser porter par le courant.

L’histoire commence en 1983. La famille débarque à Constantine, en Algérie. Latzari a 12 ans.

Cette adolescente pleine de vie nous confie des bouts de sa vie durant ses trois ans de passage en Algérie.

En lisant ce récit, on a très vite l’impression de se fondre dans un monde schizophrène. Une vie avec deux dimensions parallèles qui se côtoient. Laquelle est plus réelle ?  Laquelle doit rester secrète ? Comment continuer à avancer, à tracer son chemin ? Faut-il oublier ? Pardonner ?

Latzari et sa famille fait partie du petit monde des expatriés étrangers. Elle évolue dans cette bulle quasiment coupée des habitants du pays, avec très peu de vrais contacts finalement avec les algériens. Elle fréquente, avec son frère et ses sœurs, les écoles françaises, le Centre culturel français, elle a des amis français, profite de son adolescence en organisant des boums, fume en cachette.. etc

Les adultes font de même. Ils ont recréé un univers occidentalisé sur une terre musulmane, une terre qui tremble et se fissure, une terre qui se dirige tout droit vers une guerre civile. Mais la guerre, ce sera pour plus tard, la famille et tous les expatriés auront déserté les lieux depuis longtemps.

L’autre dimension de vie parallèle c’est la relation que Latzari entretient avec son père… ou plutôt que son père entretient vis-à-vis d’elle depuis qu’elle a trois ans. L’inceste.

Tout le roman est ponctué de scènes d’inceste qui s’égrainent par petites touches, depuis la toute première fois, jusqu’à l’adolescence de cette jeune fille. Là on entre dans la complexité de ce type de relations. Le secret, la domination, l’attirance malsaine et le sentiment de ne rien faire de mal, le chantage affectif… et puis de l’autre côté, le dégoût, l’incompréhension, la soumission, la volonté de ne pas décevoir et la sidération face à une situation anormale.

Peut-on comprendre ou expliquer ce qui se passe dans la tête des adultes incestueux ?  Je pense sincèrement qu’il y a quelque  chose de pourri dans leur cerveau. Ils sont irrécupérables.

La force de ce récit réside dans le courage de cette gamine qui refuse de se laisser aller, une gamine qui ose tenir tête à son paternel et décide de mordre la vie à pleine dents, d’inventer un avenir meilleur pour ne pas sombrer, même si la réalité de ce qu’elle a vécu est passée sous silence, pour ne pas faire de vagues, parce que la vie doit continuer. Une façon de nier sa souffrance. Et pourtant, elle tourne.

 


 

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