vendredi 4 octobre 2019

La papeterie Tsubaki, de Ogawa Ito





En consultant la liste de mes lectures depuis janvier, il apparait que «  La papeterie Tsubaki » est ma cinquantième lecture.  Et j’ai décidé, de manière anticipée, de la déclarer coup de cœur 2019.

Si je devais résumer en une phrase ce que m’inspire ce roman, je dirais qu’il est une déclaration d’amour à l’écriture manuscrite, et aussi à l’amitié.

L'histoire se déroule de nos jours.

Hatoko, surnommée Poppo, revient dans sa ville natale, Kamakura, après avoir sillonné le monde, et après le décès de sa grand-mère, qu’elle appelle l’Aînée.
Elle reprend donc la papeterie familiale et exerce aussi en tant qu’écrivain public, comme sa grand-mère. 

Le récit débute en été, et l’on suit, au fil des pages, le quotidien de Poppo, son univers centré sur le monde de l’écriture et son travail d’écrivain public.  Les saisons s’égrènent et notre petite Hatoko se montre la digne héritière de l’Aînée, avec la douceur en plus. 

A travers les demandes parfois surprenantes de ses clients, elle nous transporte dans une autre dimension, faite de caractères dispersés sur des papiers aux textures variées, tracés de la pointe d’un pinceau ou d’une plume de verre, organisés selon des critères bien précis, en fonction des situations. Poppo s’efface alors pour devenir le souffle de celui qui demande mais ne peut pas écrire. 

Il émane de ce récit une douceur incroyable. On a l’impression d’être transporté délicatement par une brise légère, d’une poésie toute simple, même à travers la description des gestes du quotidien. 

Chaque saison apporte son lot de rituels et coutumes, parfois bien ancrés encore dans cet archipel où la modernité côtoie la mémoire du passé.  Je repense notamment à cette coutume de ne pas se couper les ongles à la nouvelle année, avant le 7 janvier au matin, après les avoir soigneusement trempés dans une eau où sept herbes sauvages ont reposé toute une nuit.  Je ne me souviens plus de la raison de ce rituel… peut-être est-ce pour apporter la santé pour le reste de l’année ? 

En plus de cet univers de l’écriture, il y a une autre facette à ce récit, plus profonde, et qui touche directement Hatoko. Elle va en effet remonter dans ses souvenirs en s’appuyant sur ses rencontres présentes et laisser imperceptiblement  des changements s’opérer en elle, comme les saisons. 

Le récit s’achève avec la venue du printemps, le temps du renouveau et de l’espoir…

Voici à présent quelques extraits :


Page 72 : L’impression typographique, une technique à l’ancienne, consiste à assembler un à un les caractères – les types- pour imprimer les mots. Aujourd’hui, on a souvent recours à l’impression offset, mais autrefois, l’impression typographique servait pour tous les imprimés, y compris les livres. Les caractères laissent une légère trace en relief à la surface du papier et ce côté artisanal a quelque chose de chaleureux. 

Page 97 : Monsieur Sonoda ne paraissait pas ébranlé, mais pour lui laisser le temps de reprendre ses esprits, je suis passée du côté maison pour préparer du thé. J’avais des daifuku de la pâtisserie Nagashimaya, où j’avais fait un saut le matin en faisant mes courses ; je les ai servis avec le thé, sur une feuille de papier japonais pliée en deux.
J’ai versé le thé dans des tasses anciennes : un parfum embaumant, comme une flaque de soleil, a empli la boutique.
-        - Tenez, je vous en prie.
Je lui ai tendu une tasse et un daifuku à la châtaigne en priant pour que cela lui allège le cœur. Pourvu qu’il aime les sucreries !
Après avoir bu une gorgée de thé chaud, j’ai croqué dans mon daifuku aux haricots. La pâte de riz pilé qui l’enrobait était encore toute moelleuse et tendre.

Page 101 : Cette lettre était pleine de délicatesse : la délicatesse de ne pas franchir certaines lignes, de faire preuve de retenue, de ne pas semer le trouble.
J’ai passé les quelques jours suivants en compagnie de Monsieur Sonoda.
Bien entendu, pas le vrai Monsieur Sonoda.
Simplement, je voulais tout transmettre de lui à Sakura, sa gentillesse, sa façon de s’exprimer, son image et jusqu’à son odeur. Parce qu’une lettre, c’est comme l’incarnation d’une personne.

Page 103 : Une fois que je sais plus ou moins ce que je vais écrire, je commence par choisir mes outils d’écriture. Le même texte offre un visage totalement différent selon qu’il est rédigé au stylo-bille, au stylo-plume, au stylo-pinceau ou au pinceau.
Ecrire une lettre au crayon papier étant foncièrement impoli, ce choix n’est même envisageable.

Page 103 : J’ai sorti de l’écritoire héritée de l’Aînée la plume de verre qui y dormait depuis longtemps. C’est un instrument d’écriture entièrement fait en verre.
J’imaginais que la plume de verre avait été mise au point en Europe. Mais elle est née au Japon. C’est un artisan spécialisé dans la fabrication de clochettes en verre, Sasaki Sadajirô, qui l’a inventée en 1902.  Elle a immédiatement été adoptée en France et en Italie.

Page 124 : Mange amer au printemps, vinaigré l’été, piquant l’automne et gras l’hiver.

Page 167 : Elle s’est levée.
Elle était sublime. Elle était l’incarnation personnifiée de cette vieille expression qui dit qu’une femme debout a la grâce de la pivoine de Chine, celle de la pivoine arbustive quand elle est assise, et celle du lis quand elle se met en mouvement.

Page 168 : Une belle écriture ne tient pas à une graphie régulière, mais à la chaleur, la lumière, la quiétude ou la sérénité qui en émanent. J’aimais ces écritures-là.  




16 commentaires:

  1. Tu veux que je te dise. Ton emballement pour ce roman (que je ne connaissais pas, ni d'auteur ni de titre) je l'ai vu venir avant que tu n'en entâmes même la lecture. Tu en avais tant envie comme d'une friandise, au terme de tirs rapprochés romanesques dans le temps, au point qu'une lecture enthousiaste de Joyland de King en quelques jours seulement n'a pas été suivie de chronique sur le Bouddha. Vite, vite, passer à la lecture suivante, à celle-ci, justement. Certains livres guettent leurs lecteurs bien avant que la première page ne soit ouverte.

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    1. Oui, c'est tout à fait ça..je me suis empressée de lire les romans prévus et j'ai gardé celui-là pour la fin, pour le déguster !

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  2. J'ai ressenti une infinie douceur dans ta chronique, une infinie lenteur aussi, en écho à l'informatique facile d'utilisation qui, dans certaines circonstances sociales, doit s'effacer devant un art ancestral auquel il faut accorder humilité, amour et respect. On y sent aussi une infinie tendresse, celle de l'auteur, pour de simples objets. Je peux comprendre, ce sont eux qui nous entourent qui montrent ce que nous sommes.

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    1. Je me souviens, chez Altaya Ed. peut-être, avoir vu passer en Presse un de ces fameux hebdomadaires (une cinquantaine de numéros environ) à compiler en classeur. Celui-ci était consacré à la calligraphie et proposait un ustensile (mais lequel ?) d'écriture. On était à l'époque encore loin de la main-mise informatique sur notre manière d'écrire, je n'étais pas encore à me dire qu'un monde allait s'éteindre.

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  3. Je ne connais que très peu la culture japonaise mais ce que je perçois d'elle réside dans cette lenteur des choses que le japonais semble imposer à une partie de sa vie. Mais je peux me tromper.

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    1. Non,je ne pense pas que tu trompes.. je ne sais pas si je peux dire que je connais la culture japonaise, puisque je ne l'ai approchée qu'à travers les livres, mais je ressens aussi cette lenteur, l'importance des gestes et des rituels, l'émerveillement devant des choses toutes simples, comme l'éclosion des fleurs de cerisiers, au point d'en faire une fête, pour accueillir le printemps :-)

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    2. Je suis très sensible à la simplification graphique que les japonais imposent à certains de leurs dessins et peintures (pour ce que j'en connais). Je la retrouve dans ce que j'essaie de photographier. Par contre je n'ai aucune idée quand il s'agit de savoir si elle est de mise dans l'écrit. Mes seuls romans lus étant un diptyque dont je ne me souviens plus ni de l'auteur ni des titres. Cà parlait de samouraïs, d'honneur et la maison devait être en poche "10/18" ou "points". Un classique incontournable.

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    3. Je crois que tu m'en avais parlé, c'est pas " La Pierre et le Sabre" et " La Parfaite lumière" ?

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    4. Oui, c'est bien çà. J'en garde le bon souvenir d'une lecture qui m'avait changé de l'ordinaire, mais qui me semble désormais lointaine.

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    5. Je pense que le Japon est un pays qui génère des comportements extrêmes. Dans la culture, cuisine, esthétique et autres, il valorise la simplicité, l'épure, la lenteur, la contemplation. 10 ans pour devenir maitre sushi. Du riz, du wasabi et une tranche de saumon cru. Tout est là. Ils ont compris que "less is more". À côté de ça il se tuent pour leur entreprise.
      En littérature, il ne sont pas entrer dans les codes de narration à l'américaine et conserve cet esprit de simplicité. C'est pour ça que j'adore leur culture.

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    6. Et en musique rock, paradoxalement, c'est l'inverse, les japonais semblent très friands de hard-rock bien binaire, le moins sophistiqué possible tel celui, de jadis et encore d'aujourd'hui, de Kiss.
      Les groupes de là-bas, ceux des 70's et des 80's s'essayant au rock étaient très fiers de n'y mettre que peu de sophistication. On doit sans doute voir là une espèce de contre-culture de la jeunesse.
      Un temps, les pressages japonais de groupes GB et US, offraient sur 33 tours vinyle la meilleure qualité sonore possible. Les fans du vieux continent les cherchaient en import. J'en ai quelques uns que je ne pose jamais, par crainte de les rayer, sur la platine.

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    7. Nicolas, tu as déjà lu de la littérature chinoise aussi?

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    8. Peu, trop peu. 2 Prix Nobel, Gao Xinjian (que je dois relire), et Mo Yan. Pourquoi?

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    9. Par contre, perso, outre les "La Pierre et le Sabre" et " La Parfaite lumière" sus-mentionnés, mon seul autre contact avec la littérature asiatique vient ... d'un occidental: J.G. Ballard qui dans son roman quasi autobiographique "Empire du soleil" explique sa fascination d'enfance pour les Japonais, pourtant envahisseurs de l'enclave internationale de Shanghai. Le roman m'est en île déserte babélienne. Le roman vaut beaucoup plus que le film de Spielberg.

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    10. ben moi je me suis intéressée à l'Asie grâce à une autrice occidentale aussi! Pearl Buck et ses romans sur la Chine! ensuite j'ai lu les auteurs asiatique de souche :-D

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